Sylvie Pelletier
Chercheuse en éducation des adultes
Institut de coopération pour l’éducation des adultes
L’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA) a mené de 2021 à 2023 un projet de recherche visant à évaluer l’intérêt d’une plateforme numérique de microattestations comme outil de reconnaissance et de mise en valeur des compétences génériques. Financé par la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), le projet était sous la direction de la Coalition des organismes communautaires pour le développement de la main-d’œuvre (COCDMO). L’ICÉA était responsable de la dimension scientifique.
Qu’est-ce qu’une plateforme numérique de microattestations ? La plateforme numérique de microattestations est un outil qui permet à une personne en recherche d’emploi d’identifier les compétences génériques (soft skills) qu’elle possède et de demander des microattestations pour ces compétences. Par la suite, elle peut faire une ou des demandes d’endossement par d’autres personnes : collègues, pair-e-s, etc., des personnes qui peuvent témoigner de la possession de ces compétences. Enfin, elle peut communiquer si elle le désire les badges numériques représentant les microattestations dans le cadre de ses démarches d’emploi. |
Ce projet était basé sur le principe de l’autoreconnaissance des compétences par les personnes elles-mêmes et sur la reconnaissance par leurs pair-e-s. Cette avenue s’est révélée riche et originale tant dans le cadre de cette recherche que pour le développement éventuel d’une plateforme. Ce projet s’inscrivait également dans une approche de reconnaissance des acquis et des compétences développées hors du milieu scolaire, et cet aspect le distingue d’autres plateformes, souvent circonscrites aux compétences professionnelles, ou limitées aux compétences acquises en milieu professionnel.
Dans cet article, nous ferons un retour sur les objectifs, les caractéristiques et les étapes méthodologiques du projet. Puis, nous discuterons de l’intérêt de développer ce type de plateforme à la lumière des résultats de la recherche.
1. Un retour sur le projet
Le projet de plateforme numérique de microattestations a commencé en 2021 par une recension des écrits qui avait pour but de débroussailler le sujet, d’identifier les solutions retenues ailleurs dans le monde et de voir ce qui se faisait au Canada. Cette étape a permis de constater le retard du Québec par rapport à d’autres provinces, notamment en matière de cadre de qualifications1, mais également en ce qui concerne la réflexion sur les microtitres de compétences2. Cette recension a aussi permis de confirmer l’originalité de l’approche retenue, soit l’autoreconnaissance et la reconnaissance par les pair-e-s. Par la suite, la chercheuse alors responsable du projet, Blandine Courcot, a élaboré un rapport méthodologique prévoyant les différentes phases de recherche.
La microattestation : un microtitre de compétences Les microtitres de compétences désignent les attestations obtenues pour des apprentissages courts visant l’acquisition de compétences ou de connaissances précises. Dans ce projet, nous avons choisi le terme de microattestations pour le distinguer de celui de microcertifications, utilisé plus largement dans le monde scolaire ou professionnel et associé surtout aux formations de type formel (et parfois informel). |
Dès le départ, la méthodologie a été pensée autour du futur référentiel de compétences génériques qu’avait annoncé la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), mais qui n’était pas terminé. En cours de route, la chercheuse du projet a été remplacée par Sylvie Pelletier, et le Référentiel québécois de compétences génériques a été adopté officiellement et diffusé par la CPMT. C’est la version qui a été soumise aux personnes qui ont participé au projet, sauf pour le sondage initial, où une version provisoire du Référentiel a été utilisée. Nous présenterons le Référentiel adopté par la CPMT plus loin, mais revenons d’abord sur les objectifs du projet.
1.1 Les objectifs du projet de recherche
Le projet de recherche ciblait trois grands objectifs :
- Tester un prototype de plateforme numérique ayant pour but de délivrer des microattestations.
- Évaluer dans quelle mesure l’utilisation de ces microattestations pouvait permettre aux personnes en recherche d’emploi de transmettre des informations sur leurs compétences génériques auprès d’employeurs et d’employeuses.
- Connaître l’intérêt des employeurs et des employeuses pour ce dispositif de transmission des compétences.
À travers ces trois objectifs, le projet visait ultimement à valider un concept, soit de confirmer ou d’infirmer l’intérêt d’un tel outil pour faire valoir et communiquer ses compétences génériques par les personnes en transition sur le marché du travail auprès des employeurs et des employeuses. La figure 1 présente les différentes phases de la validation de concept.
La validation du concept était inséparable de certains éléments caractéristiques du projet. Nous présentons chacun de ces éléments dans la prochaine section.
1.2 Les caractéristiques originales de ce projet
1.2.1 Les compétences génériques
Les compétences qui ont été retenues pour ce projet sont les compétences génériques. Souvent désignées par l’appellation anglaise de soft skills, les compétences génériques font davantage référence au comportement et à la personnalité des individus. Elles se distinguent des compétences professionnelles et techniques (hard skills), propres à différents métiers par exemple, notamment en ce qu’elles sont transversales et transférables.
Nous avons opté pour la définition des compétences génériques de Nos compétences fortes (NCF), un outil de reconnaissance des compétences proposé par l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA).
Les compétences génériques sont des capacités qui font partie de la personnalité d’une [personne] et qui sont utiles dans tous les milieux de vie. Ce sont des compétences qu’on peut développer dans un milieu de vie ou de travail, et transférer ou utiliser dans un autre milieu de vie ou de travail (COFFRE, Relais-femmes, ICÉA, 1989).
Suivant NCF, une compétence générique s’appuie sur un ensemble de critères qui la définissent iv :
- une compétence générique regroupe un ensemble de capacités;
- une compétence générique se développe dans l’action;
- une compétence générique évolue dans la vie d’une personne;
- une compétence générique se développe dans toutes sortes d’expériences de vie et de situations de travail;
- il existe plusieurs compétences génériques;
- une même personne peut avoir développé plusieurs compétences génériques;
- les compétences génériques sont le résultat d’apprentissages réalisés dans l’action;
- les compétences génériques sont utiles dans tous les milieux de vie (maison, emploi, école ou autres);
- les compétences génériques sont transférables, c’est-à-dire qu’elles peuvent être mobilisées dans différents champs d’application, contextes d’action et familles de situations.
Ce type de compétences peut être développé en milieu de travail, de façon formelle ou non formelle, par exemple en approfondissant les tâches qui nous sont confiées, en bénéficiant du soutien de nos collègues, ou encore dans le cadre de formations structurées données par l’entreprise ou l’organisation. On peut également acquérir ces compétences de façon informelle, lors d’activités communautaires, sportives, politiques, bénévoles, de mentorat, de création, ou encore dans des entreprises d’insertion sociale, des forums, des ateliers coopératifs où on apprend en travaillant avec les autres, des écoquartiers, etc. Dans tous ces lieux, on apprend en réalisant certaines activités (« acquis expérientiels »), et ce sont les personnes qui nous ont vu utiliser ces compétences qui peuvent en témoigner, car on ne reçoit pas, ou rarement, un diplôme ou un document officiel pour le démontrer. Une compétence s’acquiert donc dans l’action et dans un contexte précis (Boudreault, 2020).
Dans le cadre de ce projet, il ne suffisait pas de dire que l’on détenait telle ou telle compétence ; la possession d’une compétence était étayée par une documentation et confirmée par des « endosseuseuses » et des « endosseurs » qui déposaient également des « preuves » de leur côté. À la suite de ces opérations, la microattestation émise – représentée par un badge numérique – pouvait être communiquée à un employeur ou une employeuse.
Qu’est-ce qu’un badge numérique ouvert ? Le badge numérique ouvert est un « badge numérique conçu dans un système libre de droits et standardisé, pouvant ainsi être utilisé par tout organisme émetteur qui le souhaite » (OQLF, 2023). Selon le cadre de reconnaissance ouverte (Open Recognition Framework), ce mode rend visibles et actionnables des informations sur les expériences, les compétences, les aboutissements, les aspirations d’un individu, d’une communauté ou d’une organisation. |
1.2.2 Le Référentiel québécois des compétences du futur
Un deuxième élément caractérise ce projet : il a été construit autour du référentiel de la CPMT. Celle-ci a adopté un Référentiel de compétences axé sur le marché du travail et sa transformation, le Référentiel québécois des compétences du futur (2022).
La plupart des pays possèdent des référentiels de compétences. Ils servent généralement à identifier et à définir les compétences reliées à un métier ou à une profession, mais ils peuvent aussi être conçus de façon à regrouper toutes les compétences d’un type donné, telles les compétences futures.
Le Référentiel de la CPMT présente des compétences génériques, non techniques, jugées nécessaires pour les travailleurs et les travailleuses qui veulent se projeter vers l’avenir. Dans son document, la CPMT précise que les compétences « du futur » sont celles qui correspondent à « l’ensemble des savoirs, savoir-faire et savoir-être qui seront nécessaires à la pratique de professions au cours des prochaines années » (Commission des partenaires du marché du travail, 2022, p.4).
Dans un contexte de qualification et de requalification de la main-d’œuvre, la CPMT avait la volonté de développer un référentiel de compétences communes à tous les secteurs d’activité. Ces compétences ont été proposées dans une vision à long terme, tournée vers le futur. « Ce sont les compétences nécessaires aujourd’hui pour s’adapter au marché du travail de demain » (CPMT, 2022).
La figure 2 présente en image le carrousel des compétences du futur identifiées par la CPMT. Notons que le socle commun de ces compétences du futur demeurent la littératie et la numératie, deux compétences critiques au Québec, surtout chez les 46-65 ans, si nous nous référons au rapport du Programme d’Enquête Internationale sur les Compétences des Adultes (PEICA) rédigé après la collecte de données réalisée auprès de 27 000 adultes canadiens entre novembre 2011 et juin 2012 (Desrosiers et al, 2015).
La CPMT définit ainsi les compétences de son Référentiel :
Les compétences du Référentiel | |
1 | Littératie : comprendre et utiliser l’information écrite de la vie courante en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités |
2 | Numératie : être en mesure de comprendre et d’utiliser des notions mathématiques dans sa vie personnelle et professionnelle |
3 | Utiliser et comprendre le numérique |
4 | Être en mesure de collaborer et de communiquer adéquatement |
5 | Faire preuve d’adaptabilité face aux changements |
6 | Savoir gérer l’information et faire preuve de jugement critique |
7 | Être en mesure de résoudre des problèmes de façon créative |
8 | Faire preuve d’autonomie |
9 | Favoriser l’inclusion et respecter la diversité |
10 | Adopter une posture de développement professionnel continu |
11 | Respecter et agir pour l’environnement |
12 | Agir de façon éthique |
1.2.3 L’autoreconnaissance et la reconnaissance par les pair-e-s
Le modèle adopté pour ce projet repose sur le principe de l’autoreconnaissance, où une personne est amenée à identifier les compétences génériques qu’elle possède à partir de définitions de chacune des compétences. Par la suite, elle dépose une documentation (une « preuve ») qui décrit le contexte et les lieux d’acquisition de cette compétence et atteste de sa possession (voir la figure 3). Cette documentation peut être écrite, audio ou vidéo. Ce n’est donc pas une entité extérieure qui évalue ou atteste de la maîtrise de cette compétence. Ce principe d’autoreconnaissance contribue à développer une compétence fondamentale, celle d’être apte à « se reconnaître une compétence ». Il renforce également l’autonomisation de la personne.
Les figures suivantes montrent de quelle façon se présentent visuellement les fonctionnalités de la plateforme, et d’abord, la première, qui est celle de s’attribuer une compétence. C’est tout de suite vers cette fonctionnalité que nous mène la plateforme après inscription.
Pour faciliter l’identification des compétences par les personnes utilisatrices, nous avons reformulé à la première personne les exemples associés à chacune des compétences.
Lorsque l’identification d’une compétence est faite et qu’on clique sur cette compétence, elle vient se placer dans son « profil de compétences ». À ce moment, la personne qui s’est reconnu une compétence fait une ou des demandes d’endossement à d’autres personnes : collègues, pair-e-s, etc., des personnes qui peuvent témoigner de la possession de cette compétence. Ces personnes qui reconnaissent et endossent déposent également de la documentation sur le site et expliquent le lien qui les unit à la personne qui fait la demande, le contexte et le lieu d’acquisition de la compétence, etc.
La dernière fonctionnalité du prototype consiste à communiquer ses badges de compétences. L’employeur ou l’employeuse qui reçoit les badges peut ouvrir le dossier qu’on lui a communiqué et consulter les « preuves » associées à la compétence, le nom des endosseurs et des endosseuses, et la documentation ajoutée par ces personnes. Dans le cadre de ce projet, la clientèle visée était constituée de personnes en recherche d’emploi et nous voulions aussi évaluer l’intérêt des employeurs et des employeuses pour ce type de plateforme, mais elle pourrait servir à d’autres fonctions, comme outil de développement des compétences par exemple.
Dans toutes ces situations, c’est la personne en recherche d’emploi qui a le contrôle complet de la plateforme, c’est elle qui se reconnaît des compétences, qui fait la demande à des endosseurs et des endosseuses, qui décide quels badges elle veut communiquer et à quel employeur ou employeuse elle veut le faire. De façon à permettre ce contrôle, le prototype a été conçu pour être utilisé de façon intuitive, selon une formule simple, facile à comprendre puisque les fonctions de déposer une ou des preuves, d’ajouter les noms des personnes endosseuses, et de communiquer ses badges à un employeur ou une employeuse se présentaient toutes sur le même modèle.
Comme nous l’avons montré plus haut, sur le site de la plateforme, la microattestation est représentée par un badge numérique (voir la figure 6). Contrairement à un diplôme ou à une attestation, ce badge numérique contient de nombreuses données (métadonnées) qui fournissent de l’information sur la nature des compétences acquises, par exemple :
- l’identité de la personne qui a reçu le badge ;
- l’identité de la personne qui a émis le badge ;
- l’identité de la personne qui a reconnu la compétence (l’endosseur ou l’endosseuse) ;
- les critères qui ont permis l’attribution du badge ;
- les preuves justifiant l’attribution.
Dans la figure 7, les métadonnées indiquent qui a émis le badge et le critère d’émission, qui est de soutenir la Déclaration de Bologne sur la reconnaissance ouverte. Comme nous l’avons souligné précédemment ce projet est différent parce que l’autoreconnaissance et la reconnaissance par les pair-e-s en sont des caractéristiques fondamentales et originales. Elles le distinguent des plateformes numériques qui existent ici ou ailleurs, où la personne doit faire une demande qui sera évaluée par une « autorité » extérieure, laquelle autorisera l’émission du badge s’il y a lieu. Ici, nul besoin de faire une telle demande, c’est la personne elle-même qui évalue si elle possède cette compétence et qui ajoute la documentation et les personnes qui peuvent en attester. Tant l’objectif de validation de concept que ces caractéristiques fondamentales ont déterminé le type de méthodologie utilisée dans le cadre de la recherche.
1.3 Les étapes méthodologiques
La méthodologie employée par cette recherche était de nature qualitative. Comme nous voulions évaluer l’intérêt pour ce type d’outil pour certaines personnes, cela impliquait de modéliser le système, de réaliser un prototype fonctionnel et de documenter l’expérience et les réactions (figure 1). Nous visions la construction du prototype de plateforme numérique à partir du point de vue des personnes utilisatrices, nous avons donc privilégié une méthodologie permettant d’analyser et de comprendre des comportements, des expériences, des points de vue, des façons de penser et des interprétations, afin de saisir ce qu’en pensaient les parties intéressées. Cette méthode a généré beaucoup de données, permettant un examen en profondeur de l’objet d’étude.
Les deux premières phases ont été conduites en 2021 et 2022 auprès d’utilisateurs et d’utilisatrices potentiels, soit au premier chef les travailleurs et les travailleuses ayant des compétences à faire valoir et ensuite, les employeurs et les employeuses à qui il était possible de communiquer ces compétences. Dans la phase 1, un sondage initial a été effectué, puis des entretiens semi-dirigés et des groupes de discussion ont eu lieu dans le but de présenter l’idée de la plateforme et d’évaluer son intérêt auprès des publics cibles.
La phase 2 a vu deux séries d’ateliers de cocréation réunissant d’un côté employeurs, employeuses, travailleurs et travailleuses et de l’autre, des spécialistes de la question des badges. Ces ateliers se déroulaient en trois temps. La cocréation de type Design Thinking consiste à réunir des personnes ayant des expertises différentes pour faire émerger des solutions opérationnelles grâce au travail collaboratif. Les données amassées lors de ces phases ont conduit à établir la liste des fonctionnalités que devait comporter la plateforme numérique de microattestations pour qu’elle rencontre les trois critères essentiels à son utilisation : la confiance, la valeur et l’échange. Confiance dans ce que représente et contient la microattestation. Étroitement liée à la confiance, la valeur accordée par l’ensemble des acteurs de l’écosystème à la microattestation est indispensable à sa reconnaissance. Enfin, dans une vision de transférabilité, les microattestions doivent pouvoir être partagées ou échangées entre provinces et entre pays, voire entre systèmes de formation et milieux de travail.
La phase 3 s’est concentrée sur la mise au point d’un prototype de plateforme numérique de microattestations autour des grandes fonctionnalités identifiées lors des deux premières phases, et surtout, sur son évaluation par différentes clientèles : organisations des trois secteurs d’activité retenus pour la recherche (économie sociale et action communautaire, commerce de détail, tourismev), personnes intervenant en insertion socioprofessionnelle, personnel professionnel du milieu de l’éducation, jeunes adultes participant aux activités d’une entreprise d’insertion en emploi, et enfin, les spécialistes. Les commentaires ont été récoltés lors de webinaires, d’entretiens individuels et par questionnaire. Rappelons que l’objectif principal de cette phase était d’amasser des données sur l’utilisation de la plateforme afin de confirmer ou d’infirmer la validité du concept.
Enfin, la quatrième et dernière phase du projet a vu la rédaction du rapport final, incluant des conclusions sur la validité du concept. Ce rapport comporte également une série de recommandations.
Toutes les phases de cette recherche ont permis d’amasser des données volumineuses et ont fourni ample matière à réflexion. Dans la prochaine section, « Quelques pistes de réflexion », nous allons présenter les caractéristiques qui ont été jugées les plus intéressantes par les différentes clientèles et qui apparaissent essentielles si une plateforme numérique devait être développée.
2. Quelques pistes de réflexion
L’ICÉA travaille sur la question des compétences génériques depuis plusieurs années, notamment à travers Nos compétences fortes, un outil de reconnaissance des compétences génériques qui s’utilise dans le cadre d’une démarche de groupe. D’autres travaux et projets de l’ICÉA se sont intéressés à la question des badges numériques et à l’idée de plateforme de microtitres.
Cette recherche a ajouté certains éléments à prendre en considération dans nos réflexions sur la question. Les éléments que nous présentons ici concernent l’intérêt de développer un tel outil de reconnaissance.
2.1 Un premier constat : la validité du concept
La recherche a permis de démontrer l’intérêt de ce type de dispositif, soit une plateforme numérique de microattestations. Le vocabulaire pourrait être simplifié, d’autres référentiels ajoutés, l’accessibilité pourrait être améliorée, mais la validation de concept a été faite. La dernière phase du projet a prouvé que la plateforme avait le potentiel pour une réelle application.
Depuis le dépôt du rapport de recherche, d’autres présentations du prototype ont été faites et l’intérêt pour cet outil ne se dément pas. Il provoque questions et discussions et on nous dit qu’une telle plateforme serait utilisée si elle était mise en placevi. Certaines de ses caractéristiques semblent faire à peu près l’unanimité.
2.1.1 Les compétences génériques
Lors des phases d’idéation, le choix des compétences génériques avait été salué comme une addition intéressante par rapport à ce qui existait déjà pour la recherche d’emploi : curriculum vitae, lettre d’intention, test écrit, etc. Ce choix a été renforcé par les avis exprimés lors de l’évaluation du prototype de la plateforme : le fait que les compétences ne soient pas rattachées au monde scolaire, en particulier, a été jugé comme un des aspects forts et essentiels du projet, tant par les travailleurs et travailleuses que par les employeurs et employeuses.
De plus, la plateforme numérique a été perçue comme un outil pouvant faciliter la vie des travailleurs et travailleuses qui veulent faire valoir leurs compétences (compétences nouvellement apprises, celles apprises dans un mode non formel ou informel) et à ce titre, a reçu la faveur de toutes les parties. Les employeurs et les employeuses pensaient que ce serait un « plus » pour évaluer les candidatures, alors que les personnes employées estimaient que la plateforme pourrait constituer un outil supplémentaire pour mettre en valeur l’ensemble de leurs compétences et même, constituer un outil de développement professionnel.
D’ailleurs, même si les compétences du Référentiel québécois des compétences du futur ont été critiquées (nombre, définitions, descriptions), on doit souligner qu’aucune compétence n’a été jugée inutile. Toutes les compétences génériques qui ont été présentées ont été jugées pertinentes, à la fois pour leur secteur d’activité et dans l’absolu, même si certaines se sont démarquées plus particulièrementvii. Toutefois, il serait intéressant de pouvoir puiser dans d’autres référentiels de compétences génériques, et même, éventuellement, d’intégrer dans un seul outil d’autres types de référentiels de compétences, par exemple ceux regroupant des compétences reliées au monde du travail : techniques, professionnelles, spécialisées, etc. À partir du moment où une plateforme numérique serait mise sur pied, rien n’empêcherait d’y inclure des référentiels existants ou d’ajouter des compétences particulières. Ces ajouts pourraient être faits par la direction autant que par le personnel.
2.1.2 Les concepts utilisés : microtitres, badges et plateforme numérique
Il y aurait toute une opération à mettre en œuvre pour faire connaître les microtitres, éventuellement la différence entre les microattestations et les microcertifications en particulier, car la méconnaissance de ce type de titres semble générale. Un des problèmes est qu’il n’existe pas de définition commune et partagée de ces termes. Les spécialistes en proposent, mais ces définitions demeurent à l’intérieur de cercles restreints.
En plus de manquer de définition claire, on peut voir que les microtitres, qui témoignent de la multiplication des formations courtes offertes un peu partout échappent encore à la mire des personnes dirigeantes. C’était le cas chez le petit groupe sondé dans le cadre de notre recherche, mais un sondage canadien a montré la même choseviii. Pour leur part, les personnes employées sont plus nombreuses à les connaître et même, à dire avoir suivi une formation menant à un microtitre. Il faut souligner que les microtitres correspondent généralement à une formation brève et souple, ce qui n’était pas le cas ici avec les compétences génériques, développées en dehors des milieux scolaires.
Considérant ce fait, il faudrait évaluer la possibilité de parler directement des badges numériques plutôt que de microattestations, terme qui semblait prêter à confusion. Les badges semblent susciter une compréhension plus intuitive, mais la question devrait être évaluée.
En revanche, le concept de plateforme numérique a reçu l’assentiment de l’ensemble des personnes consultées. La reconnaissance en format numérique plutôt que sur papier était perçue de façon extrêmement positive, en particulier chez les jeunes adultes consultés, mais pas uniquement. Les personnes en recherche d’emploi consultées pensaient que le médium « plateforme numérique » pourrait être un élément facilitant pour faire valoir les compétences acquises en dehors des milieux scolaires. Du côté des directions, on pensait que la plateforme pourrait faciliter l’évaluation des candidatures.
Enfin, la dimension « numérique » et le fait que la plateforme était accessible sur un ordinateur, mais aussi sur une tablette ou un téléphone cellulaire, ont été applaudis comme un progrès, d’autant que la pandémie s’est accompagnée pour la majorité des personnes de l’acquisition de compétences liées au télétravail, comme l’apprentissage de nouveaux logiciels, ceux de vidéoconférence notamment.
2.1.3 Le principe de l’autoreconnaissance et de la reconnaissance par les pair-e-s
Ces principes ont parfois nécessité des explications, mais après cela, ils ont suscité beaucoup d’approbation. Le fait que le badge soit autoattribué, qu’il n’y ait pas besoin de faire une demande à un organisme ou à une institution, a été perçu comme une plus-value, en particulier par les travailleurs et travailleuses et par les spécialistes. Dans le modèle défini ici, ce sont les « preuves » et les endossements qui servent à démontrer la possession de la compétence, plutôt qu’une évaluation qui viendrait de l’externe. L’ajout du contexte et le rattachement à une pratique précise ajoutent à la validité de la microattestation.
De plus, la reconnaissance de la capacité d’un individu à évaluer lui-même la possession de compétences, que ce soit pour lui-même et pour les autres, a été vue de façon extrêmement positive parce qu’elle ajoutait à la dimension autonomisante (empowering).
En revanche, il y aurait lieu de réfléchir à la possibilité d’associer une démarche collective à l’utilisation d’un tel outil. Cela soutiendrait les personnes dans le développement de leur capacité à reconnaître des compétences. C’est certainement un des points forts de Nos compétences fortes (NCF), et sans aller jusqu’à adopter l’idée d’un projet commun, nous croyons qu’il y a quelque chose à aller chercher dans les enseignements de NCF. Créer des groupes d’utilisation créerait un sentiment d’appartenance, et renforcerait à la fois la capacité à se reconnaître et à reconnaître aux autres des compétences. Cela permettrait aussi une meilleure utilisation de la plateforme. L’idée de communauté de pratique et de responsabilisation par les pair-e-s, ou encore celle d’une formation donnée par un centre d’éducation populaire apparaissent comme particulièrement porteuses à cet égard. Elle permettrait aux individus d’apprivoiser les compétences génériques et d’apprendre la compétence de (se) « reconnaître une compétence ». Enfin, une démarche de groupe ou une communauté de pratique pourrait permettre l’émission d’un premier badge, celui d’appartenance à ce groupe ou à cette communauté, encore un élément de renforcement de la confiance.
2.1.4 Insérer la plateforme numérique de microattestations dans un écosystème
L’évaluation du prototype de plateforme numérique de microattestations a montré que le fait que la plateforme ne soit reliée à rien d’autre, ni sites, ni autres plateformes, ni services d’emplois, ni instruments de développement des compétences, ni services de reconnaissance des acquis et des compétences (RAC), était perçu comme une limite. Il est certain que dans une perspective de recherche d’emploi, il serait intéressant que ce type d’outil intègre l’écosystème des services d’emploi et, d’une façon plus générale, qu’il soit connecté à d’autres sites et à des lieux de formation. Si la plateforme était reliée aux services d’emploi du gouvernement du Québec, la personne qui affiche ses badges de compétences pourrait se voir offrir de postuler à un emploi qui demande justement ces compétences.
De plus, il n’y a pas de raison pour qu’une telle plateforme n’existe qu’en rapport avec la recherche d’emploi. Même s’il visait initialement les personnes en « transition sur le marché du travail », ce type d’outil peut également servir à la reconnaissance de compétences en dehors de ce type de démarche, par exemple pour identifier les compétences génériques que l’on possède ou pour repérer ses points forts dans le cadre d’une démarche autonomisante (empowering), visant à mieux se connaître.
Les personnes qui ont participé y voyaient d’ailleurs un instrument de connaissance de soi et de ses compétences, et auraient voulu qu’il intègre une dimension de développement des compétences, ce qui montre son attrait et son intérêt dans une optique globale de reconnaissance des compétences.
L’insertion dans d’autres écosystèmes nécessiterait une réflexion plus approfondie sur les implications des différentes avenues possibles.
2.1.5 Les personnes ciblées par la plateforme
Il reste une question clé à approfondir : elle concerne les personnes visées par ce type d’outil et, selon le choix de la clientèle cible, les étapes de mise en œuvre. Cette question n’a pas fait l’unanimité lors des consultations. Elle a suscité et continue de susciter beaucoup de discussions. Certaines personnes préféreraient réserver la plateforme numérique de microattestations aux individus éloignés du marché du travail, pour qui elle a été pensée, ou encore aux personnes marginalisées pour une raison ou une autre (âge, faible scolarité, origine, statut, etc.). Lorsqu’on pense à ces clientèles, on voit que ce type de plateforme pourrait représenter une plus-value. Toutefois, tout le monde possède des compétences génériques ou en développe au cours de sa vie ; la plateforme pourrait jouer un rôle bénéfique dans une perspective de valorisation et d’autonomisation (empowerment) des personnes.
D’autres défendent l’idée de la penser pour tous et toutes afin de ne pas dévaloriser les badges représentant les microtitres, et pour que la plateforme de microattestations ne devienne pas celle des personnes qui ne possèdent pas de diplômes. Comme il s’agit de reconnaissance de compétences génériques, est-ce que la plateforme devrait se concentrer, au moins dans une première étape, sur les personnes peu scolarisées ou éloignées du marché du travail et s’ouvrir plus tard à l’ensemble de la population?
La plateforme pourrait aussi emprunter un modèle différent, plus global. Elle pourrait être de type portfolio par exemple, et on pourrait y déposer ses diplômes, ses microattestations, son curriculum vitae, ses lettres de recommandation, son rapport de stage, ses publications s’il y a lieu, etc. Cette solution aurait l’avantage d’être intéressante pour tout le monde et d’éviter de faire une plateforme uniquement destinée aux personnes peu scolarisées ou marginalisées, mais est-ce nécessaire d’aller dans cette direction puisqu’il existe déjà des réseaux professionnels, comme LinkedIn? La question demande certainement à être étudiée plus à fond.
Conclusion
Les pistes de réflexion présentées ici ne font pas le tour de toutes les données recueillies dans le cadre du projet de recherche. La simplicité du prototype par exemple a été notée et saluée unanimement. Le vocabulaire parfois savant a été jugé rebutant par certaines personnes. Le choix et les définitions des compétences du Référentiel québécois des compétences du futur ont soulevé beaucoup de critiquesix. L’utilisation du numérique a reçu l’assentiment des jeunes, mais une faible littératie peut être source de faible littératie numérique, que la personne en soit consciente ou non. La plateforme devrait être plus inclusive et plus accessible. Nous pourrions continuer ainsi, mais le but de cet article n’était pas de faire un résumé des données recueillies. Nous voulions plutôt présenter les aspects du prototypes qui ont jugés comme étant essentiels, et par conséquent, ce qui devrait être gardé dans un éventuel déploiement.
Nous pouvons retenir que trois éléments du prototype ont été jugés essentiels : les compétences génériques, l’autoreconnaissance, et la reconnaissance (endossement) par les pair-e-s.
Ils contribuent à l’originalité et à l’intérêt de cette plateforme. Ils peuvent être mis à contribution, alors même que le Québec se trouve en pénurie de main-d’œuvre et que le moment est opportun pour développer ce type d’outil. Mais une plateforme numérique de microattestations présente un intérêt en soi, pour la reconnaissance de ses compétences génériques, qu’il est difficile d’identifier et de faire valoir, alors même qu’elles sont identifiées par plusieurs comme étant celles de l’avenir et que les types de formation et d’apprentissage se multiplient.
Maintenant, il reste à déterminer quel modèle devrait être mis en œuvre pour favoriser son utilisation et assurer son fonctionnement. Devrait-on l’insérer dans un ou des écosystèmes, ou plutôt garder une plateforme indépendante, offrant un type précis de microattestations? Qui devrait en gérer le fonctionnement ? Un organisme à but non lucratif déjà existant? Un nouvel organisme? Une agence gouvernementale? Il reste bien des questions à résoudre. Quoi qu’il en soit, il est temps de prendre le train des badges numériques et de s’arrimer au reste du monde pour être en mesure de répondre aux besoins des personnes qui apprennent de différentes manières, tout au long de leur vie, mais n’arrivent pas à faire valoir leurs compétences.
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