Résumé
Afin de souligner ses 70 ans, l’ICÉA a conçu le projet de faire de 2017-2018 une « année de l’histoire de l’éducation des adultes » au Québec. Ce projet se veut un cadeau fait au mouvement de l’éducation des adultes. Il vise à mettre en valeur une histoire riche et belle, qui s’incarne dans l’action de multiples organisations, mais qui demeure méconnue.
Au cours de la prochaine année, les organisations et les institutions actives en éducation des adultes sont donc invitées à témoigner de leurs contributions à l’histoire de l’éducation des adultes. En bon initiateur, l’ICÉA souhaite répondre à sa propre invitation. Le présent article prend donc la forme de l’une des contributions de l’ICÉA à cette année de l’histoire de l’éducation des adultes.
Cet article dresse un panorama des grands thèmes qui ont animé les principales revendications formulées en ce sens par l’ICÉA. Ce panorama couvrira la période allant de l’époque de la Commission Parent, au début des années 1960, à l’adoption de la Politique gouvernementale de 2002. Conséquemment, une attention particulière sera accordée aux écrits de l’ICÉA publiés dans la foulée de ces commissions.
Introduction
Tout au long de son histoire, l’ICÉA fait valoir la nécessité de doter le Québec d’une politique d’éducation des adultes. Il s’avère que l’épreuve du temps n’a pas altéré le caractère actuel de cette revendication large, pas plus qu’il n’a émoussé des arguments présentés par l’ICÉA depuis le début des années 1960. Ces revendications en faveur d’une politique en éducation des adultes ont engagé l’ICÉA dans la construction d’un solide argumentaire en faveur de la démocratisation de l’éducation des adultes et du droit d’apprendre tout au long de la vie pour tous.
Cet article propose une réflexion sur les grands thèmes qui animent cet argumentaire et la manière dont l’ICÉA les a utilisés depuis le début des années 1960. Nous verrons comment l’adulte prend place au cœur des revendications de l’ICÉA et les efforts faits par l’Institut pour démocratiser l’éducation des adultes. Nous serons à même de constater que les motivations de l’ICÉA, qui sont intimement liées aux besoins des adultes en matière d’apprentissage tout au long de la vie, sont demeurées sensiblement les mêmes tout au long de son histoire.
Choisir des textes
Cette réflexion sur les thèmes et les revendications de l’ICÉA commande d’identifier des écrits historiques, dont les sujets se rapportent à l’idée de politique en éducation des adultes. Quatre textes produits par l’ICÉA entre 1962 et 2001 ont donc été choisis. Ces textes se rapportent à trois moments-clés de l’histoire de l’éducation des adultes : la Commission Parent, au début des années 1960, la Commission Jean, au début des années 1980 et le projet de Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue, en 2001.
On y retrouve le mémoire de l’ICÉA à la Commission Parent [ICÉA, 1962] : ce texte ne fait pas explicitement référence à une politique en éducation des adultes, mais il apparaissait essentiel à notre analyse. Avec le recul des années et à la lumière des réformes initiées dans les années 1960, l’idée d’une politique en éducation des adultes apparaît dans la trame de fond des travaux de la Commission Parent. Le mémoire de 1962 se présente donc comme l’un des premiers textes de l’ICÉA où il est possible de retrouver des thèmes et des revendications qui seront repris dans les argumentaires des années 1980 et 2000 en faveur d’une politique en éducation des adultes.
Deux publications de l’ICÉA ont été retenues en lien avec la Commission Jean : un document d’animation publié en 1980 dans la foulée de la création de la Commission Jean et le mémoire de l’ICÉA présenté à cette commission en 1981. Finalement, le dernier texte retenu est le mémoire présenté par l’ICÉA au gouvernement du Québec en 2001. Critique, ce mémoire souligne les lacunes du projet de politique présenté par le gouvernement de l’époque, tout en offrant un point de vue récent sur les thèmes qui animent l’argumentaire de l’ICÉA.
Choisir un angle de départ
D’un point de vue chronologique, il serait logique de faire du mémoire de 1962 le point de départ de cette analyse. Cependant, il s’agit du seul texte parmi ceux sélectionnés qui ne fait pas explicitement référence à une politique en éducation des adultes. Pour cette raison, il faut trouver un autre angle de départ. À ce titre, les deux documents choisis se rapportant à la Commission Jean fournissent un angle de départ intéressant. Le document d’animation de 1980 propose dix dossiers qui abordent des thèmes dont l’importance majeure était alors reconnue par les organisations actives en éducation des adultes. Tandis que le mémoire de 1981 énonce neuf éléments-clés d’une politique en éducation des adultes.
Ces deux documents, dont la terminologie pleine d’actualité est toujours en usage aujourd’hui, associent les idées de démocratisation et de politique en éducation des adultes. Par ailleurs, ils dressent la liste de thèmes et de revendications qu’on retrouve tout à la fois dans les argumentaires présentés à la Commission Parent, dans les années 1960, ou en réaction au projet de politique gouvernementale du gouvernement, au début des années 2000. Cette liste fait de ces documents d’excellents points de départ.
Les personnes apprenantes : centre de notre attention
Tout au long de ses 70 ans d’existence, l’ICÉA a défendu bien des positions concernant l’éducation des adultes et le droit d’apprendre tout au long de la vie. Il y a cependant une constante dans la manière dont ces positions ont été défendues depuis 1946 : l’ICÉA a toujours placé l’adulte au centre de ses revendications. Comme l’expliquent les auteurs du document « Une histoire de l’éducation des adultes », publié par le gouvernement du Québec en 2007, l’ICÉA « met l’accent sur une approche globale de l’adulte. Cette vision de l’éducation des adultes, qui suppose la démocratisation des structures, va inspirer les grandes réformes de l’éducation des adultes qui auront lieu pendant la deuxième moitié du XXe siècle. » [Québec, 2007 : p. 42]
Au nombre de ces réformes, on note les suites du rapport Parent qui a été publié en 1963. Ce rapport est une pièce importante de la Révolution tranquille des années 1960. Ses conclusions mènent à la mise en place de plusieurs structures officielles en matière d’éducation des jeunes et des adultes au Québec : le ministère de l’Éducation et le Conseil supérieur de l’éducation, en 1964, la Direction générale de l’éducation permanente [DGEP], en 1966, les Cégeps, en 1967, ainsi que de nombreuses réformes touchant à la formation des enseignants ou l’accès aux études universitaires.
L’ICÉA s’est intéressé à ces réformes, tentant chaque fois d’orienter le débat public vers la nécessité de démocratiser l’éducation des adultes, d’en élargir l’accès, de reconnaître le droit de tout adulte d’apprendre tout au long de sa vie, etc. On retrouve ces champs de revendications – et bien d’autres –dans plusieurs documents rendus publics par l’ICÉA depuis le début des années 1960, et même avant.
Selon l’époque, les auteurs utilisent des mots et des expressions différentes, mais leurs propos se fondent sur des concepts qui semblent toujours vivant d’actualité et, surtout, centrés sur la condition, les besoins et les aspirations de la personne en situation d’apprentissage. La personne apprenante apparaît ainsi comme le véritable centre de l’attention de l’ICÉA. Ce constat tombe sous le sens quand on analyse les caractéristiques propres à l’éducation des adultes – une réalité moderne, si on se réfère à ce qu’en disait Claude Ryan en 1957.
Les caractéristiques de l’éducation des adultes
En 1957, Claude Ryan signe un texte intitulé « L’éducation des adultes, réalité moderne ». Le président de l’Institut canadien d’éducation des adultes de l’époque (1) y souligne cinq « traits majeurs » de l’éducation des adultes qui illustrent l’importance que l’ICÉA accordera à l’adulte tout au long de son histoire [Ryan, 1957 : pp. 11-19] :
- la croyance à l’effet que toute personne est capable de progresser, d’améliorer sa situation par l’apprentissage;
- l’existence de lien entre l’apprentissage et l’exercice de la liberté et de la responsabilité personnelle et collective;
- la souveraineté et la primauté de la personne apprenante, elle qui accepte librement d’apprendre et de parfaire son éducation;
- le respect de la condition de la personne apprenante : d’une part, l’abolition de barrières économiques, sociales ou géographique qui pourraient limiter son action et, d’autre part, la prise en compte de ces besoins, de ces aspirations et de sa capacité de progrès [d’apprendre].
- la participation active de la personne apprenante, laquelle est encouragée à interagir avec les autres selon diverses perspectives : questionnement, partage d’expérience, résolution de problème, coapprentissage, etc.
Ces traits nous rappellent les fondements de plusieurs argumentaires proposés par l’ICÉA depuis le début des années 1960. L’illustration que Claude Ryan en donne le mène par ailleurs à se prononcer sur l’importance de conditions propres à l’apprentissage à l’âge adulte, telles que :
- la nécessité de partir de réalités quotidiennes et connues de l’adulte afin de rendre compte de ce qui est observé pour en faire un sujet d’apprentissage intéressant;
- l’importance d’utiliser des méthodes pédagogiques vivantes qui favorisent l’action et l’interaction entre les personnes apprenantes;
- le caractère communautaire, collectif et social de l’éducation des adultes, dont les apprentissages se rapportent à des problèmes vécus par plusieurs personnes apprenantes; ou
- l’engagement des personnes dans un processus d’apprentissage commun qui mène à la transformation sociale et à l’amélioration de leurs conditions de vie [individuelles et collectives].
Ici encore, on reconnait des arguments dont se servent toujours l’ICÉA et ses partenaires afin de placer la personne au centre de toute réflexion sur l’éducation des adultes. De fait, ce regard sur le passé permet de constater que l’argumentaire de l’ICÉA en faveur du droit d’apprendre tout au long de la vie et de l’exercice de ce droit par tous les adultes est soutenu par un ensemble de thèmes et de revendications qui ont été énoncés au cours de ces 70 ans d’existence.
Nous le verrons dans la suite de cet article, ces thèmes et ces revendications sont au cœur des projets de politique d’éducation des adultes proposés par l’ICÉA, tout comme ils fondent de nombreuses critiques formulées par l’Institut à l’égard des projets de politiques proposées par l’État ou des organisations de la société civile.
Démocratiser l’éducation des adultes
Qu’elle soit nommément citée ou non, l’idée de démocratiser l’éducation des adultes est omniprésente dans les argumentaires proposés par l’ICÉA depuis le début des années 1960. Le mémoire de 1981 affirme à ce titre que la question centrale de toute politique est « celle de la démocratisation de l’éducation et de l’information, c’est-à-dire de la possibilité qu’ont ou non les personnes et les collectifs de se donner les capacités d’analyse et les savoirs faire requis pour reprendre en main la maîtrise et la transformation de leur environnement et en jouir. » [ICÉA, 1981 : p. 31]
Cette idée sert d’assise aux revendications historiques de l’ICÉA concernant l’accessibilité (2) pour tous à l’éducation [ICÉA, 1980 et 1981] ou l’élargissement du pouvoir éducatif des personnes [ICÉA, 2001]. Elle est par ailleurs citée par Claude Ryan dans son texte de 1957 [Ryan, 1957 : p. 8] et on en retrouve la trace dans le mémoire de 1962 à la Commission Parent : « l’éducation des adultes s’enracine profondément dans la vie quotidienne […]. De cet homme, elle cherche à faire un citoyen éclairé, libre et épanoui, capable de juger une situation aussi bien que d’apprécier une œuvre d’art. » [ICÉA, 1962 : p. 6] Qui plus est, l’idée de démocratiser l’éducation des adultes semble aller de pair avec l’affirmation du droit d’apprendre tout au long de la vie ainsi que la concrétisation des conditions nécessaires à l’exercice de ce droit que doit garantir une politique en éducation des adultes [ICÉA, 1981 et 2001].
Dans les argumentaires de l’ICÉA, cette idée se retrouve ainsi étroitement liée à celle de politique en éducation des adultes. Conséquemment, le choix des thèmes analysés dans cet article doit se faire selon une double perspective : d’une part, la contribution du thème à la démocratisation de l’éducation et, d’autre part, l’importance de son inclusion dans une politique d’éducation des adultes. Sachant cela et partant du point de départ que sont les textes des années 1980, les thèmes de sept champs de revendications s’imposent à notre analyse.
- Alphabétisation
- Éducation populaire
- Ressources éducatives publiques
- Formation professionnelle
- Congé-éducation payé
- Méthodes pédagogiques
- Influence des médias
Les quatre premiers thèmes feront l’objet d’une analyse approfondie. Ces thèmes sont en effet présents dans tous les textes retenus et il apparaît intéressant d’illustrer l’évolution du traitement qui en est fait dans les argumentaires produits par l’ICÉA depuis le début des années 1960.
Les thèmes 5 à 7, pour leur part, feront l’objet d’une analyse plus succincte. La raison en est qu’ils sont présents dans les textes liés à la Commission Jean sans pour autant l’être dans les textes de l’une ou l’autre des moments historiques ciblés par cette analyse. Ainsi, l’illustration du traitement qui en est fait dans les argumentaires produits par l’ICÉA apparait moins complète. Toutefois, ces thèmes apparaissent d’un grand intérêt en raison de leur influence à l’égard de la démocratisation de l’éducation des adultes.
1. Alphabétisation
L’alphabétisation est un thème central dans les argumentaires de l’ICÉA : les mémoires de 1981 et de 2001 y font directement référence, soulignant le grand nombre de personnes qui vivent en situation d’analphabétisme au Québec, alors que le mémoire de 1962 l’aborde indirectement, sous l’angle d’une scolarité de base jugée insuffisante [ICÉA, 1962]. D’une époque à l’autre, l’ICÉA constate la présence d’un besoin éducatif fondamental lié aux compétences de base des adultes.
Un défi éducatif à relever
Rappelant les constats d’une enquête de l’ICÉA, le mémoire de 1962 révèle que « bien souvent l’adulte a peine à suivre un cours parce que l’éducation reçue au niveau primaire est tout à fait déficiente » [ICÉA 1962 : p. 14]. Cette enquête démontre par ailleurs que « trop de gens, mis en demeure de poursuivre des cours, ne savent aujourd’hui, ni écrire, ni même lire intelligemment un texte » [ICÉA, 1962 : p. 15].
Dans le mémoire de 1981, Guy Bourgeault insiste sur plusieurs faits troublants, dont « la permanence de l’analphabétisme (surtout fonctionnel) dans de larges couches ou groupes de la population » [ICÉA, 1981 : p. 8]. Ce mémoire fait de l’alphabétisation l’un des éléments-clés d’une politique en éducation des adultes [ICÉA, 1981 : p. 16], affirmant par là le « droit de tous à une formation générale de base leur permettant de poursuivre leur formation tout au long de la vie adulte » [ICÉA, 1981 : p. 36]. On note ici le mariage de deux concepts-clés en éducation des adultes : l’alphabétisme et la formation de base (3).
Le mémoire de 2001 souligne finalement le constat fait par le gouvernement du Québec à l’effet que « l’analphabétisme compromettait le développement des individus et du Québec [et] qu’il augmentait le risque d’exclusion » [ICÉA, 2001 : p. 39]. L’exclusion sociale dont il est ici question limite la capacité des personnes à participer à la vie démocratique de la société; situation inacceptable qui doit impérativement changer selon l’ICÉA :
Le défi éducatif posé par les faibles niveaux de scolarité et les taux élevés d’analphabétisme, la multiplication des occasions d’apprendre au sein de la vie des personnes, les baisses des taux de participation à l’éducation, l’absence d’une vision commune et rassembleuse mobilisant la diversité des acteurs nous convainquent amplement que la situation présente doit changer.[ICÉA, 2001 : p. 26]
Au-delà de la rhétorique et des formulations employées, on reconnaît dans ces préoccupations le souci de s’attaquer à un problème qui est encore bien présent dans notre société moderne : combler des besoins éducatifs liés aux apprentissages de base [lire, écrire, compter, etc.] et, par le fait même, à l’utilisation de documents écrits dans le quotidien.
Des revendications qui évoluent
Les revendications de l’ICÉA en matière d’alphabétisation ont évoluées avec les années, mais on y retrouve toujours le souci de permettre à la personne d’avoir accès à l’éducation des adultes; de continuer d’apprendre tout au long de la vie; d’être toujours mieux outillée pour s’informer, interagir, communiquer, etc.
En 1962, l’ICÉA fait le constat d’un déficit dans la formation de base des adultes, dont la formation s’arrête souvent au cycle primaire. Il est recommandé à ce titre que « la scolarité obligatoire soit prolongé jusqu’à 16 ans » [ICÉA, 1962 : Recommandation 2, p. 16]. L’ICÉA souhaite ainsi contrer le décrochage précoce qui fait en sorte que bien des adultes éprouvent des difficultés à lire et à écrire. Prolonger la formation scolaire devrait mieux préparer les personnes à poursuivre leur apprentissage dans la vie adulte.
En 1981, l’ICÉA prône le droit pour tous à une formation générale de base permettant de poursuivre la formation tout au long de la vie [ICÉA, 1981 : p. 36]. À ce titre, plusieurs recommandations sont formulées dans le mémoire de 1981 : le prolongement de « la formation générale de base des jeunes […] jusqu’au niveau du secondaire V », le maintien du « tronc commun de formation générale du niveau collégial », une priorité accordé aux « mesures de rattrapage en matière de formation générale de base pour tous les adultes » ainsi que la mise en place de mesures visant à joindre « les femmes ménagères, les jeunes travailleuses et travailleurs sous-qualifié(e)s, les groupes d’immigrant(e)s, les nations autochtones de façon à ce que soit respecté leur droit fondamental à une formation générale de base » [ICÉA, 1981 : Recommandation 4, p. 39].
L’ICÉA souhaite assurer la pérennité de mécanismes dont l’efficacité est reconnue, étendre certains de ces mécanismes au champ de l’éducation des adultes et développer des pratiques qui permettaient de joindre des populations à risque d’exclusion. On note que le droit d’apprendre à l’âge adulte et sa reconnaissance à titre de droit fondamental sont de plus en plus affirmés dans l’argumentaire de l’ICÉA.
Finalement, en 2001, l’ICÉA aborde l’alphabétisation sous l’angle du droit pour tous à une formation de base et de l’accès à un premier diplôme :
Le gouvernement devra bonifier son Projet de politique et reformuler la deuxième orientation du Projet de politique portant sur la formation de base pour garantir le droit à l’éducation pour toutes et tous, c’est-à-dire gratuit, accessible et sous la responsabilité de l’État, en accordant une priorité spécifique à l’alphabétisation et en faisant de l’accès à un diplôme d’études secondaires ou de formation professionnelle une base éducative universelle pour la population adulte québécoise. [ICÉA, 2001 : Recommandation 17, p. 65]
Cette fois, plus de doute possible, le droit d’apprendre tout au long de la vie est nettement affirmé. Qui plus est, l’argumentaire de l’ICÉA est de plus en plus ouvertement orienté vers la mise en place des conditions nécessaires à l’exercice de ce droit, parmi lesquelles on retrouve la gratuité et l’accessibilité de services assurés par l’État.
Des apprentissages nécessaires à l’exercice du droit d’apprendre
Ces précisions mènent au constat que, depuis le début des années 1960, l’ICÉA souligne le caractère fondamental des apprentissages liés à l’utilisation de documents écrits, imprimés ou autre [aujourd’hui, numériques!], dans la vie de tous les jours. Qui plus est, l’ICÉA souligne l’importance de répondre aux besoins éducatifs des personnes : il semble cependant qu’il y ait toujours eu un manque à cet égard et que celui-ci limite les capacités d’action et d’adaptation des personnes au sein de notre société.
Finalement, les différents argumentaires de l’ICÉA font tous référence à une société en évolution, dont les exigences sont sans cesse croissantes. Cet aspect n’a pas été abondamment illustré dans l’analyse qui précède, mais il est présent dans tous les mémoires, y compris celui de 1962 : « Les progrès des techniques modernes, les bouleversements à l’échelle mondiale, le phénomène de socialisation et l’accès à des idéologies multiples requièrent en effet une formation autrement plus complète que celle que nous avons connue jusqu’ici. » [ICÉA, 1962 : p. 10]
Ainsi, dès le début des années 1960, l’ICÉA se souciait du relèvement des exigences en matière d’apprentissage tout au long de la vie attribuables aux transformations de la société. Il appert que, lorsque ces exigences se rapportent à des apprentissages de base comme la lecture, l’écriture ou le calcul, le droit d’apprendre et les conditions nécessaires à l’exercice de ce droit s’en trouvent directement affectés. Il faut de toute évidence voir dans ce constat l’une des principales raisons qui font de l’alphabétisation l’un des thèmes fondateurs des argumentaires de l’ICÉA en faveur d’une politique en éducation des adultes.
2. Éducation populaire
L’éducation populaire est un autre thème central dans les argumentaires de l’ICÉA. Elle est présentée dès le début des années 1960 comme le foyer d’apprentissages susceptibles de favoriser une plus grande participation sociale et citoyenne. Le mémoire de 1962 la décrit comme « cette partie de l’éducation des adultes qui vise surtout à répondre à des besoins que ni l’instruction formelle, ni l’apprentissage technique ne peuvent combler dans la société mouvante et complexe qui est la nôtre » [ICÉA, 1962 : p. 43].
Depuis lors, l’argumentaire de l’ICÉA s’est développé autour de quelques grands axes. Un premier axe est celui de l’apport de l’éducation populaire aux mouvements qui ont transformé notre société. Vient ensuite celui de la complémentarité des actions menées par ce milieu et le réseau public d’éducation. Finalement, l’ICÉA insiste – notamment dans le mémoire de 2001 – sur l’importance de reconnaître et de soutenir la diversité des organismes actifs en éducation populaire. Ce dernier axe est étroitement lié à la question du financement de l’éducation populaire.
Transformer la société
Par le biais d’une terminologie différente de celle employée de nos jours, le mémoire de 1962 insiste sur la fonction de transformation sociale de l’éducation populaire : « Les organismes bénévoles ont joué jusqu’ici, malgré des moyens restreints, un rôle de premier plan dans la formation sociale des adultes, et d’une façon d’autant plus efficace que cette formation a vraiment été source d’engagement à l’action. » [ICÉA, 1962 : p. 47]
Ce rôle stratégique de l’éducation populaire est bonifié dans les mémoires suivants. Le mémoire de 1981 prône ainsi « la reconnaissance concrète de l’éducation populaire autonome comme une des conditions essentielles d’une société éducative et démocratique » [ICÉA, 1981 : p. 31]. L’ICÉA y recommande d’adopter une politique qui reconnaît le travail d’éducation des adultes fait par les organismes d’éducation populaire, qui avance « les fonds nécessaires pour appuyer l’éducation populaire autonome et répondre aux besoins formulés » et qui « respecte l’autonomie et la spécificité des organismes » [ICÉA, 1981 : Recommandation 1, p. 34].
Le mémoire de 2001 souligne par sa part que les milieux de l’action communautaire autonome et de l’éducation populaire « accomplissent une tâche éducative essentielle », qu’ils « constituent des creusets d’expérimentation et d’innovation en matière d’accompagnement et de pédagogie » et qu’ils « s’avèrent être des lieux uniques d’apprentissage de l’autonomie personnelle et de la participation citoyenne » [ICÉA, 2001 : p. 16]. L’ICÉA y recommande notamment que « le gouvernement [supporte] les missions d’éducation et de formation des organismes communautaires autonomes et d’éducation populaire, ainsi que celles des syndicats » [ICÉA, 2001 : Recommandation 22, p. 68].
Finalement, en lien avec l’éducation sociale de l’adulte, le mémoire de 1962 formule deux recommandations concernant directement les organismes bénévoles du milieu : d’une part, favoriser « la création d’écoles spécialisées de formation à l’intention des responsables d’éducation populaire » [ICÉA, 1962 : Recommandation 22, p. 47]; d’autre part, encourager et soutenir au besoin « les initiatives valables prises par les associations et organismes bénévoles dans le but d’assurer la formation sociale des adultes » [ICÉA, 1962 : Recommandation 23, p. 48]. On note ici le souci de l’ICÉA pour la formation des personnes qui interviennent en éducation des adultes, un thème qui sera exploré dans la suite de cet article.
Le mémoire de 1962 formule par ailleurs plusieurs autres recommandations visant à aider les personnes à exercer leur citoyenneté, à assumer les responsabilités, à participer aux transformations de la société. Ces recommandations s’adressent au Gouvernement et à ses ministères, qui doivent faire œuvre d’éducation populaire en favorisant un meilleur accès à l’information; que ce soit directement, par la publicité ou la publication de brochures informatives, ou indirectement, par l’accès aux publications officielles dans les bibliothèques publiques.
Assurer la complémentarité avec le réseau public
La question de la complémentarité entre le milieu de l’éducation populaire et le réseau public est abordée franchement dans le mémoire de 1981. L’ICÉA y recommande la reconnaissance officielle du droit des organismes d’éducation populaire « d’utiliser les ressources publiques à l’intérieur de leurs activités d’éducation populaire » ainsi que l’adoption d’une politique permettant d’encourager et de financer le « développement de services à la collectivité dans les institutions publiques des trois niveaux pour ainsi rendre accessible aux collectifs, nationaux et régionaux, dans des conditions respectant l’autonomie des groupes, les ressources et expertises régulières du réseau public d’éducation » [ICÉA, 1981 : Recommandation 3, p. 36].
À cette époque, le secteur de l’éducation des adultes subissait les effets de la contre-réforme des années 1970 [ICÉA, 1981 : pp. 23-26]. Il était en butte à pressions menaçant le développement de plusieurs innovations héritées du Rapport Parent et de la Révolution tranquille. L’avenir des services aux collectivités développés dans le réseau public, notamment les universités, apparaissait incertain. L’histoire nous a montré depuis que les services développés (4) sont des acquis pour la société.
Reconnaître la diversité et assurer la financement
Des années 1960 à aujourd’hui, la question du financement de l’éducation populaire apparaît toujours d’actualité. Le mémoire de 1962 fait état de moyens restreints et celui de 1981 déplore « le peu d’importance accordé dans le financement de l’éducation aux activités des organismes volontaires d’éducation populaire autonome, syndicats et groupes populaires » [ICÉA, 1981 : p. 8]. Quant au mémoire de 2001, il déplore le fait que le cadre d’action du gouvernement concernant le financement alloué aux groupes d’éducation populaire « n’offre aucune indication des objectifs qu’il pourrait poursuivre à cet effet » [ICÉA, 2001 : p. 46].
On note ici que les constats de l’ICÉA, et conséquemment les recommandations qui s’y rapportent, se précisent et s’affirment au fil des années. De fait, la recommandation d’encourager et de soutenir au besoin les initiatives valables formulée dans le mémoire de 1962 apparaît timide en comparaison des recommandations qu’on retrouve dans les autres mémoires.
Le mémoire de 1981 recommande en effet d’adopter différentes mesures financières et législatives, notamment le congé-éducation payé, pour favoriser la participation des personnes à des activités d’éducation populaire [ICÉA, 1981 : Recommandation 2, p. 35]. Tandis que le mémoire de 2001 réclame « un financement accru, adéquat et soutenu des intervenantes et des intervenants et des services destinés aux adultes » qui respecte la diversité des réalités vécues par les personnes et qui répond aux besoins des « groupes d’éducation populaire et d’action communautaire autonome œuvrant en éducation et en formation des adultes, incluant le mouvement des femmes ». [ICÉA, 2001 : Recommandation 2, p. 53]
3. Ressources éducatives publiques
Bien qu’il soit abordé différemment selon les époques, le thème des ressources éducatives publiques est présent dans les argumentaires de l’ICÉA depuis le début des années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
Organiser un système public
Le mémoire de 1962 aborde ce thème sous l’angle de l’enseignement secondaire aux adultes : cet enseignement s’avère offert « par des institutions privées, sous forme de cours du soir [parfois du jour] ou de cours par correspondance » [ICÉA, 1962 : p. 16]. L’ICÉA note par ailleurs que ces institutions « ne se préoccupent pas assez des méthodes et standards pédagogiques particuliers à l’enseignement des adultes » [ICÉA, 1962 : p. 16].
En conséquence, l’ICÉA formule une série de recommandation visant à :
- établir un programme d’études secondaires adapté aux besoins et aux aspirations des adultes de même qu’aux contraintes qu’ils vivent :
- différenciation du système des jeunes par un régime, des examens et des méthodes pédagogiques propres aux adultes et l’utilisation de matériel spécifique [ICÉA, 1962 : Recommandations 3a à 3e, pp.18-19];
- équivalence avec l’enseignement secondaire régulier; [ICÉA, 1962 : Recommandation 3f, p. 19]
- certification et conformité des institutions d’enseignement publics et privées [ICÉA, 1962 : Recommandations 3g à 3i, p. 19; Recommandation 4, p. 20];
- rôle central des commissions scolaires dans un contexte d’offre régionale [ICÉA, 1962 : Recommandation 3j, p. 20].
- fournir une formation spécialisée pour le personnel qui enseigne aux adultes [ICÉA, 1962 : Recommandation 5, p. 21];
- créer des établissements publics d’enseignement technique spécialisé [administration, commerce, finance, etc.] et assurer la régionalisation de ces services [ICÉA, 1962 : Recommandations 6a et 6b, p. 23];
- assurer la certification et la conformité des institutions d’enseignement technique privé, la rigueur et la pertinence de l’enseignement ainsi que l’équivalence des diplômes décernés [ICÉA, 1962 : Recommandations 6c et 6d, p. 23; Recommandation 7, p. 24].
Pérenniser et développer ce système public
De nos jours, plusieurs de ces recommandations font figure d’acquis pour le système public d’éducation et la population adulte du Québec, notamment en ce qui concerne l’adaptation du programme d’études secondaires à la réalité des adultes. Cependant, ce n’était pas le cas à l’époque où elles ont été formulées et ce ne l’était pas non plus lors de la rédaction du mémoire de 1981.
Dans ce mémoire, l’ICÉA abordait le thème des ressources éducatives publiques sous l’angle d’une double réponse à différents problèmes : « il ne nous apparaît pas contradictoire de recommander le maintien ou la mise en place de services spécifiques d’éducation des adultes et à la fois de souhaiter que ces services s’organisent selon les normes régulières régissant l’embauche du personnel, les conditions de travail et les droits syndicaux » [ICÉA, 1981 : p. 46].
Concrètement, l’ICÉA recommande de développer une éducation des adultes publique qui : 1) favorise le maintien et la consolidation des services publiques; 2) s’organise en services spécifiques aux trois niveaux d’enseignement (5); 3) fait place à la collaboration avec les personnels réguliers des institutions et des organismes concernés; et 4) offre à son propre personnel des conditions normales de travail ainsi que les droits qui les accompagnent [ICÉA, 1981 : Recommandation 7, p. 47].
Reconnaître l’éducation et la formation des adultes comme bien public
Des années 1960 aux années 1980, l’organisation de services publics destinés à l’éducation des adultes semble avoir fait naître de nouvelles préoccupations, notamment en ce qui concerne la spécificité des services offerts aux personnes et les conditions de travail du personnel attaché à l’éducation des adultes.
Ces préoccupations sont toujours d’actualité de nos jours et il est permis de croire qu’elles l’étaient au début des années 2000. Cependant, l’ICÉA choisi en 2001 d’aborder le thème des ressources éducatives publiques sous l’angle de l’affirmation du droit d’apprendre tout au long de la vie et, plus particulièrement, de la reconnaissance de l’éducation et de la formation des adultes comme un bien public.
En effet, le mémoire de 2001 demande au gouvernement de reconnaître que l’éducation et la formation des adultes constituent un bien public, « ce qui fonde la responsabilité de l’État en cette matière » [ICÉA, 2001 : Recommandation 9, p. 57]. L’ICÉA souhaite ainsi favoriser l’engagement de l’État dans une perspective d’éducation tout au long de la vie permettant de multiplier les occasions d’apprendre pour toutes les personnes et dans toutes les régions du Québec :
Dans cette optique, une politique d’éducation et de formation des adultes doit défendre le rôle primordial de l’État en éducation et en formation des adultes. Dans le même esprit, cette politique doit impliquer et mobiliser les ministères et la société civile pour que tous contribuent à répondre aux besoins éducatifs de la population adulte en créant des lieux de concertation entre les ministères, entre le gouvernement et la société, au niveau national et au niveau des régions. [ICÉA, 2001 : p. 68]
Par ailleurs afin de réaliser sa responsabilité en matière d’éducation et de formation des adultes, l’ICÉA soutient que l’État doit poser les actions suivantes :
« a] assurer le droit à l’éducation pour l’ensemble de la population adulte en garantissant l’accessibilité des adultes à des services d’éducation et de formation correspondant à leurs besoins;
b] offrir des services publics d’éducation et de formation aux adultes à tous les ordres d’enseignement;
c] supporter les missions d’éducation et de formation des organismes communautaires autonomes et d’éducation populaire, ainsi que celles des syndicats;
d] susciter et financer la recherche et l’innovation en éducation et en formation des adultes;e] réglementer le marché privé à but lucratif de l’éducation et de la formation des adultes. » ICÉA, 2001 : Recommandation 22, pp. 68-69]
On note en conclusion que cette recommandation recoupe plusieurs des revendications faites dans les mémoires de 1962 et de 1981, notamment en ce qui concerne la disponibilité des services publics, leur accessibilité et le soutien aux missions éducatives des organismes communautaires et syndicaux.
4. Formation professionnelle
Le thème de la formation professionnelle est présent dans tous les textes retenus pour la présente analyse. L’ICÉA l’aborde sous des angles qui se recoupent et qui sont encore aujourd’hui d’actualité : mise à jour des compétences professionnelles, adaptation aux changements technologiques, adéquation entre la formation et l’emploi, participation des travailleuses et des travailleurs à la définition de leurs besoins, etc.
Actualiser ses compétences, s’adapter au marché du travail
S’il faut admettre que les priorités en matière de formation professionnelle changent d’une époque à l’autre. La mise à jour des compétences semble pour sa part toujours susciter les mêmes préoccupations. Ainsi, dans son mémoire de 1962, l’ICÉA ne savait pas si bien dire en soutenant que, même « si l’enseignement professionnel régulier garde le souci de s’adapter à la mobilité constante du milieu, […] la réadaptation des adultes restera toujours nécessaire étant donné que la rapidité des changements technologiques rend vite inadéquate la formation reçue » [ICÉA, 1962 : p. 32].
On retrouve ce constat sous des formes différentes dans les mémoires de 1981 et de 2001, où l’ICÉA formule de plus en plus de préoccupations à l’encontre d’une formation professionnelle qui se limite à répondre aux besoins du marché du travail.
Aligner la formation sur l’emploi
Le mémoire de 1981 met en garde contre les décideurs déçus par les réformes passées qui croient préférable d’opter « pour une école de masse adaptée au marché du travail et axée sur la formation professionnelle » [ICÉA, 1981 : p. 24]. Ce mémoire déplore l’orientation de la formation professionnelle vers des solutions sur mesure, soutenant qu’il faut au contraire « miser sur une formation générale de base et une formation professionnelle polyvalente capable d’affronter et de s’adapter à une demande d’emploi non planifiée et non planifiable par les autorités d’ici » [ICÉA, 1981 : p. 27].
En réaction aux « tendances récentes à réduire la formation professionnelle à un ajustement technique à l’emploi à transférer la formation professionnelle des organismes publics vers l’entreprise », l’ICÉA recommande en 1981 « que la politique québécoise en éducation des adultes prône une formation professionnelle des adultes qui soit large et polyvalente » [ICÉA, 1981 : Recommandation 5.5, p. 42]. L’ICÉA souligne par ailleurs qu’à titre de service public, la formation professionnelle doit relever d’organismes publics [ICÉA, 1981 : Recommandation 6.1, p. 43].
Le mémoire de 2001 s’inquiète lui aussi de la réduction du domaine de la formation de la main-d’œuvre à certains impératifs démographiques ou économiques. L’ICÉA souligne que les objectifs de formation exprimés par les personnes ne se limitent ni aux « questions touchant à l’adaptation de la main-d’œuvre face au déclin démographique du Québec » [ICÉA, 2001 : p. 35], ni à la nécessité de s’adapter à de nouvelles réalités comme la société du savoir ou la mondialisation. Bien d’autres aspirations pourraient être prises en compte. Cependant, on retrouve peu de recommandations qui ciblent spécifiquement cette question épineuse dans le mémoire de 2001.
Définir les besoins des travailleuses et des travailleurs
Une revendication chère à l’ICÉA est l’idée de voir les travailleuses et les travailleurs prendre activement part à la définition de leurs besoins éducatifs. Cette idée est présente dans le mémoire de 1981, où l’ICÉA souhaite favoriser « la prise en charge collective de la formation professionnelle par les usagers [en donnant] aux mécanismes consultatifs [exemple les Commissions de formation professionnelle] les moyens de favoriser davantage l’implication des travailleuses et des travailleurs dans la détermination de leurs besoins individuels et collectifs » [ICÉA, 1981 : Recommandation 6.2, p. 44]. Cette idée se retrouve également dans le mémoire de 2001, où l’ICÉA réclame que les travailleuses et les travailleurs aient accès, dans les milieux de travail, « à l’information pertinente et leur participation active à l’identification des besoins de formation en entreprises et à leur réalisation » [ICÉA, 2001 : Recommandation 16, p. 64].
Inclure les exclus
Le mémoire de 2001 déplore le silence de la politique gouvernementale à l’égard de la situation des personnes qui ne sont ni en emploi ni en formation. Le gouvernement propose d’assurer « la croissance économique du Québec en élargissant à l’ensemble des travailleuses et des travailleurs l’incitation à mettre à jour leurs compétences » [ICÉA, 2001 : p. 34]. Mais force est de constater que les personnes inactives ou exclues n’auront pas accès à des services éducatifs qui leur permettraient d’intégrer le marché du travail.
À ce titre, l’ICÉA recommande au gouvernement d’affirmer « son engagement à établir une équité, dans l’application du droit à l’éducation pour les adultes, dans le but d’abolir les inégalités et les discriminations en matière d’éducation et de formation vécues par certaines populations adultes » [ICÉA, 2001 : Recommandation 8, p. 56]. Cette recommandation insiste sur l’importance de tenir compte de la situation et des besoins particuliers de populations à risque d’exclusion comme les personnes à faible revenu, les travailleuses et les travailleurs âgés, les prestataires de l’assurance-emploi et de la sécurité du revenu ou les personnes dites « sans chèques ». On retrouve ces préoccupations en filigrane des autres mémoires, sans qu’elles y fassent pour autant de recommandations précises.
Finalement, afin de mieux répondre aux besoins de formation exprimés par les personnes en démarche de formation vers l’emploi, l’ICÉA réclame l’engagement des « services publics d’emploi sous la responsabilité du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale et les organismes communautaires œuvrant dans le domaine de la main-d’œuvre » dans la politique gouvernementale [ICÉA, 2001 : Recommandation 19, p. 66].
5. Congé-formation payé
Peu présent dans les argumentaires des dernières années, ce thème était au cœur des revendications de l’ICÉA dans les années 1980. L’idée qu’une personne ait droit à un congé-formation payé a été publicisée à la fin des années 1970 (7) et affirmée clairement dans le mémoire de 1981. « Le congé-éducation payé est […] une condition nécessaire si on veut assurer le droit à tous à l’éducation » [ICÉA, 1981 : p. 35], précise l’ICÉA dans ce mémoire où on retrouve deux recommandations générales (8) en lien avec le congé-formation payé :
que la politique québécoise d’éducation des adultes définisse comme prioritaires les mesures de rattrapage en matière de formation générale de base pour tous les adultes, et qu’à cette fin soient développées des politiques d’allocation et de congé-éducation payé » [ICÉA, 1981 : Recommandation 4.4, p. 38]; et
que soit développé le congé-éducation payé en matière de formation professionnelle pour permettre aux travailleuses et travailleurs de se donner les formations nécessaires [ICÉA, 1981 : Recommandation 5.4, p. 42].
Le mémoire de 2001 présente lui aussi une revendication en ce sens. Le « congé de formation » y est présenté comme l’une des mesures de soutien qu’il est possible d’offrir aux personnes afin qu’ils puissent entreprendre ou poursuivre des activités éducatives. L’ICÉA recommande à cet effet :
la création, à l’intention de la population adulte, des conditions matérielles favorisant l’accessibilité à l’éducation et à la formation des adultes au moyen de mesures de libération de temps, de soutien financier, telles que les mesures de crédits à la formation et des congés de formation, des services de garde, du transport adéquat, etc. [ICÉA, 2001 : Recommandation 14, p. 63].
6. Méthodes pédagogiques
Des années 1960 aux années 2000, l’ICÉA aborde les questions d’ordre pédagogiques ou andragogiques en lien avec l’éducation des adultes sous deux principaux angles : d’une part, on revendique l’emploi d’approches et des méthodes qui s’accordent avec la réalité des adultes; d’autre part, on insiste sur l’importance que les personnes qui interviennent en éducation des adultes connaissent, sinon maîtrisent ces approches et ces méthodes.
Déjà au début des années 1960, l’ICÉA faisait valoir « la nécessité de prévoir des programmes spécifiques, quel que soit l’objet de l’éducation des adultes, et l’emploi d’une méthodologie apte à favoriser la participation active de l’adulte et son plein épanouissement » [ICÉA, 1962 : p. 9]. Le mémoire de 1962 présente à cet effet une série de recommandations visant à favoriser :
- « l’emploi de méthodes pédagogiques propres à l’enseignement aux adultes » et l’énoncé « de directives en ce sens à l’intention des professeurs d’adultes » [ICÉA, 1962 : Recommandation 3c, p. 19];
- l’offre « dans les écoles normales de cours à l’intention des instituteurs qui veulent enseigner aux adultes » [ICÉA, 1962 : Recommandation 5, p. 21] ainsi que « la création d’écoles spécialisées de formation à l’intention des responsables d’éducation populaire » [ICÉA, 1962 : Recommandation 22, p. 47];
- finalement, la réalisation de « recherches sur la pédagogie, les programmes et tout autre aspect » de l’éducation des adultes, notamment en vue de fixer des exigences de base auxquelles devraient répondre les institutions d’enseignement [ICÉA, 1962 : Recommandation 15, p. 41].
Dans son mémoire de 2001, l’ICÉA fait écho à ces recommandations en demandant au gouvernement d’affirmer la spécificité de l’éducation et de la formation des adultes et de reconnaître le rôle joué par les intervenantes et les intervenants de ce secteur. Cet engagement de l’État suppose les actions suivantes :
- d’une part, reconnaître « la légitimité des approches andragogiques et des formes de pédagogie et d’intervention éducative développées par [l’éducation et la formation des adultes], particulièrement pour la formation et le perfectionnement des enseignantes et des enseignants et des formatrices et des formateurs œuvrant auprès des adultes »; [ICÉA, 2001 : Recommandation 10, p. 57];
- d’autre part, s’assurer que la reconnaissance du rôle des intervenantes et des intervenants en éducation des adultes se traduise par « l’accessibilité à toutes les formes de perfectionnement, notamment l’andragogie » [ICÉA, 2001 : Recommandation 24, p. 69].
Curieusement, le mémoire de 1981 ne propose pour ainsi dire aucune recommandation spécifique en lien avec le thème des méthodes pédagogiques. Ceci, même si le document de consultation de 1980 consacrait l’un de ses dossiers à ce thème. La question de la pédagogie y est abordée d’une manière plutôt critique, soulevant plus de questions que de réponses adaptées aux besoins.
7. Influence des médias
S’il est moins présent dans les argumentaires des dernières années, le thème des médias et de leur influence sur l’éducation et la formation des adultes a été le sujet de nombreuses réflexions menées par l’ICÉA des années 1960 aux années 1980.
Comme le souligne le mémoire de 1962 : « La télévision et la radio offrent d’immenses possibilités en éducation des adultes pourvu qu’on sache faire tomber les barrières qu’imposent les méthodes traditionnelles d’éducation » [ICÉA, 1962 : p. 66]. Tout en identifiant la télévision et la radio comme des ressources à utiliser en éducation des adultes, ce mémoire s’inquiète de l’influence de la programmation offerte par ces médias à la population. L’ICÉA soutient par ailleurs que les médias participent à une forme de démocratisation de l’éducation [ICÉA, 1962 : p. 67].
Il convient en conséquence de prendre les mesures nécessaires pour favoriser le développement d’une programmation éducative de qualité, laquelle apparaît peu développée pour l’ICÉA des années 1960. Il convient également de s’intéresser à la qualité de la programmation générale offerte par les médias : même si elle n’est pas éducative, cette programmation participe à l’apprentissage et au développement des capacités des adultes par les sujets qu’elle aborde et les discussions qu’elle suscite.
Outre une évaluation constante de la programmation offerte à la population [ICÉA, 1962 : Recommandation 40, p. 70], l’ICÉA recommande dans son mémoire de 1962 :
- de créer un comité qui aurait « pour fonction d’assurer la production d’émissions éducatives vraiment adaptées aux besoins et aux possibilités des adultes » [ICÉA, 1962 : Recommandation 39, p. 70];
- de prendre « les initiatives susceptibles d’encourager la qualité de l’ensemble de la production. On songe à cet égard à l’octroi de subventions spécifiques, à la reconnaissance publique d’expérience de valeurs, etc. » [ICÉA, 1962 : Recommandation 41, p. 70];
- et de faire en sorte « qu’une part plus considérable du budget de l’Office Provincial du Film soit consacrée à la réalisation de films destinés à l’enseignement aux adultes » [ICÉA, 1962 : Recommandation 42, p. 71].
Ces revendications formulées dans les années 1960 semblent avoir servies de fondements à une réflexion de plus en plus structurée sur l’influence des médias et leur contribution à la démocratisation de l’éducation. Cette réflexion mène l’ICÉA à affirmer dans son mémoire de 1981 que l’un des problèmes auquel une politique d’éducation des adultes doit s’attaquer est la « démocratisation de cette école parallèle que sont les médias » [ICÉA, 1981 : pp. 31-32]. Il est également possible d’y lire la critique suivante au sujet de la transformation structurelle des médias :
Au départ, la radio et les télécommunications avaient un caractère de service public. Toutefois, en moins de quelques décennies, ce secteur des médias électroniques est devenu massivement dominé par des intérêts privés et concentré dans les mains des grandes entreprises nationales et multinationales [ICÉA, 1981 : p. 25].
L’ICÉA fait alors écho aux nombreuses recommandations formulées concernant le peu d’émissions éducatives qu’on retrouve dans la programmation, l’absence de consultations publiques sur les contenus de ces programmations, la présence grandissante des contenus produits à l’étranger ou encore les ressources limitées des radios et des télévisions communautaires. L’ICÉA dénonce ainsi un laisser-aller inquiétant : « Alors que l’école a fait l’objet d’une attention soutenue ces dernières décennies, on a laissé les médias poursuivre leur œuvre de conditionnement et d’endoctrinement idéologique » [ICÉA, 1981 : p. 48].
Pour solutionner ces problèmes, l’ICÉA propose de miser sur une complémentarité positive entre les médias et les institutions d’enseignement : « ces dernières amèneraient les étudiants et les étudiantes à maîtriser les savoirs scientifiques, techniques ou pratiques alors que les premiers pourraient jouer davantage un rôle de sensibilisation, d’accumulation, de mise à jour des connaissances » [ICÉA, 1981 : p. 48]. Cette complémentarité implique des transformations en profondeur des réseaux de radio et de télévision de masse traditionnels; transformations qu’une politique conséquente en éducation des adultes pourrait favoriser.
Voici les principales recommandations proposées par l’ICÉA à cet effet :
- l’obligation « de mettre à l’horaire, aux heures de pointe, des émissions à caractère éducatif portant sur des thèmes jugés prioritaires suite à un processus de consultation populaire » [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.1, p. 48];
- l’accès pour les organismes volontaires et les institutions d’enseignement à « des productions audio-visuelles à caractère éducatif » [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.2, p. 48];
- l’augmentation du financement de l’État aux médias autonomes et communautaires [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.3, p. 49] et « la promotion de la radio éducative communautaire par un financement adéquat » [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.4, p. 49];
- la diversification de la programmation éducative Radio-Québec « pour répondre aux multiples besoins individuels et collectifs des adultes dans la perspective de promouvoir la prise en charge collective et individuelle de nos conditions de vie et de travail » [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.6, p. 49];
- la régionalisation des antennes, des processus de décisions et de production de Radio-Québec ainsi que l’initiation de programmes de formation aux médias qui bénéficient de ressources humaines et financières équivalente à sa programmation traditionnelle [ICÉA, 1981 : Recommandations 8.7 et 8.8, p. 49];
- le maintien de la Régie des services publics comme lieu où la population peut « faire connaître ses exigences, ses critiques, ses besoins en matière de télévision éducative » au sujet de la programmation de Radio-Québec [ICÉA, 1981 : Recommandation 8.9, p. 50].
Les technologies de l’information et des télécommunications
Le thème des médias, tel qu’abordé dans les mémoires de 1962 et de 1981, n’est pour ainsi dire pas présent dans le mémoire de 2001. Il n’y est pas question des médias de masse, mais plutôt des technologies de l’information et des télécommunications.
Dès le début des années 1980, l’ICÉA s’est intéressé aux changements annoncés par l’utilisation croissante des outils numériques et informatiques. Il était alors question de la télématique qui commençait « à investir le champ des communications, de la culture, en s’introduisant probablement d’abord dans celui plus flexible de l’éducation des adultes » [ICÉA, 1981 : p. 51]. On décèle dans cette critique une certaine crainte à l’égard de potentiel de cette innovation technologique. À cet effet, l’ICÉA recommande dans le mémoire de 1981 de soulever publiquement « la question de la télématique et celle de la transformation des rapports sociaux qu’elle risque de provoquer dans le domaine de l’éducation » [ICÉA, 1981 : p. 53].
Heureusement, le mémoire de 2001 aborde la question des technologies de l’information et des télécommunications (TIC) sous un angle plus positif. L’ICÉA voit dans les TIC des outils au service des personnes et de l’éducation et de la formation des adultes. L’Institut demande au gouvernement de les reconnaître à ce titre et de poser les actions suivantes :
« 1] être à l’écoute des besoins exprimés par les adultes en formation pour déterminer les cours à développer et les modalités d’utilisation des TIC dans le processus d’apprentissage, notamment en favorisant le développement de ressources adaptées aux personnes handicapées;
2] préparer les enseignantes et les enseignants, les formatrices et les formateurs, ainsi que tous les autres intervenantes et intervenants œuvrant à l’enseignement ou à la formation des adultes à l’utilisation des TIC;
3] doter les enseignantes et les enseignants, les formatrices et les formateurs, ainsi que tous les autres intervenantes et intervenants œuvrant à l’enseignement ou à la formation des adultes des ressources informatiques nécessaires;
4] analyser les nouveaux besoins de formation et de répondre à ces besoins conformément aux missions spécifiques de chacun des ordres d’enseignement;
5] consolider le rôle des institutions et des acteurs travaillant à l’utilisation des nouvelles technologies en éducation et en formation des adultes, tant dans le réseau formel que dans le milieu associatif et communautaire » [ICÉA, 2001 : Recommandation 21, p. 67].
Conclusion
Cet article proposait une revue des grands thèmes qui ont animé les revendications formulées par l’ICÉA depuis les années 1960. L’objectif en était de dresser un portrait historique où il serait possible de repérer des constantes d’une époque à une autre. Pour ce faire, rappelons que quatre textes provenant des années 1960 (Commission Parent), des années 1980 (Commission Jean) et des années 2000 (adoption de la politique gouvernementale en éducation des adultes) ont été analysés.
Nous y avons identifié une série de thèmes fondateurs qui revenaient régulièrement dans les revendications historiques de lices. Nous avons été à même de constater qu’ils témoignaient tous de l’importance que l’ICÉA accorde à la personne apprenante. Nous avons également constaté que le grand objectif de l’ICÉA était de démocratiser l’éducation et la formation des adultes. L’ICÉA souhaite ainsi que toute personne, prise comme individu ou membre d’un collectif, ait accès à la connaissance; cela afin qu’elle puisse développer des capacités d’analyse et des savoir-faire qui lui permettront de se prendre en main et de participer à la transformation d’un environnement qui leur convient.
L’idée de démocratisation se retrouve ainsi au cœur de toutes les revendications formulées par l’ICÉA depuis les années 1960. Avec le recul, il est possible de soutenir que cette idée se révèle être la condition centrale de l’émancipation des personnes. Elle va de pair avec le développement des capacités d’action et d’adaptation des personnes, et elle sert de fondement aux thèmes fondateurs soulignés dans cet article.
ALPHABÉTISATION, REHAUSSEMENT DES COMPÉTENCES UTILES ET ÉDUCATION POPULAIRE
Cet article nous apprend que l’alphabétisation est et demeure une préoccupation constante de l’ICÉA depuis les années 1960 et même avant. Il semble qu’il y ait toujours eu au sein de notre société des personnes ayant de faibles compétences de base. Aux yeux de l’ICÉA, la situation de ces personnes réclame une attention particulière, en premier lieu pour s’assurer qu’elles ne soient pas victimes d’exclusion sociale ou économique.
La réalité des personnes ayant de faibles compétences de base s’avère d’autant plus préoccupante à la lumière d’un second constat tiré de cette analyse : la problématique récurrente du rehaussement des compétences lié aux changements sociaux, économiques et technologiques. Cette problématique est présente dans tous les argumentaires de l’ICÉA. Récemment encore, les résultats québécois du Programme d’évaluation international des compétences des adultes (PEICA) ont révélé que le niveau de compétences utiles à la vie dans une société du savoir ne cesse d’augmenter (9). Citons à titre d’exemple les multiples compétences qui sont désormais essentielles à l’utilisation des outils numériques et informatiques – et qui ne l’étaient pas encore au début des années 2000.
Une autre constante révélée par cet article est l’importance de l’éducation populaire à l’égard du développement des compétences des adultes. Les argumentaires de l’ICÉA soulignent tous la participation essentielle de ce secteur de l’éducation des adultes à la transformation de notre société. L’ICÉA rappelle à ce titre les contributions de l’éducation populaire à l’appropriation de nos responsabilités civiques et sociales ainsi qu’à l’exercice de notre citoyenneté et des droits qui s’y rattachent. Quelle que soit l’époque, il semble que l’éducation populaire ait fait en sorte de favoriser la participation des personnes aux changements de la société, tout autant que leur contribution au développement de leurs conditions de vie et de travail.
FORMATION PROFESSIONNELLE ET ADÉQUATION AVEC LE MARCHÉ DU TRAVAIL
Les préoccupations de l’ICÉA à l’égard de la réduction de la formation professionnelle à l’adéquation entre la formation et l’emploi étaient elles aussi présentes des années 1960. À ce titre, il semble que la formation professionnelle gravite entre deux pôles :
- d’une part, il y a les préoccupations d’organismes comme l’ICÉA : ceux-ci souhaitent fournir à l’adulte des connaissances et des compétences qui lui permettront de s’adapter aux changements, d’être mobile, d’apprendre pour le travail, mais aussi pour la vie de tous les jours;
- d’autre part, il y a les priorités d’un marché du travail en évolution : ses principaux acteurs réclament des programmes de formation « sur mesure » permettant de répondre à des demandes connues et circonstanciées.
Dans un contexte où il est difficile d’établir les exigences des emplois de demain – puisque beaucoup de ces emplois n’existent pas encore – le premier pôle apparaît plus prometteur que le second. Cependant, force est d’admettre que le secteur de la formation professionnelle fait depuis toujours l’objet d’intenses négociations entre les différents demandeurs qui tentent tous d’influencer la formulation d’une offre qui réponde à leurs priorités.
Dans cette perspective, l’action de l’ICÉA à l’égard de la formation offerte aux travailleuses et aux travailleurs actuels et futurs apparaît des plus stratégiques : l’ICÉA se présente en effet comme le seul organisme de la société civile susceptible de présenter une synthèse de l’ensemble des points de vue exprimés en matière de formation professionnelle, de formation liée à l’emploi ou d’adéquation entre la formation et l’emploi.
MÉDIAS DE MASSE ET TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION
Dès les années 1960, l’ICÉA a vu dans les médias de masse (télévision, radio et autres médiums culturels) des outils susceptibles de contribuer à l’éducation et à la formation des adultes. Pour l’ICÉA, ces lieux d’apprentissage ouvraient en quelque sorte la voie à la démocratisation de l’information, des connaissances et de l’éducation des adultes. Cependant, l’influence exercée par ces médiums sur les auditoires cibles et la mainmise de certains groupes et décideurs sur le contenu de la programmation offerte a aussi fait craindre le pire.
À ce titre, les argumentaires des années 1980 sont marqués par une inquiétude attribuable aux premiers signes de la convergence des médias – sujet qui demeure sensible jusqu’au tournant des années 2000. Avec le temps, il semble que l’attention de l’ICÉA soit passée des médias de masse aux technologies de l’information et des communications (TIC). Ces dernières annonçant à leur tour des développements en matière d’apprentissage. Cela dit, ce changement d’orientation ne veut en rien dire que les médias de masse ne contribuent plus à la démocratisation des connaissances et de l’information – bien au contraire!
Certaines dispositions de la réglementation canadienne en matière de radio et de télédiffusion contribuent sans doute à un climat de détente. La présence d’organismes réglementaires, comme le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes ou encore le Conseil canadien des normes de la radiotélévision, favorise la médiation entre les intérêts privés et collectifs.
Cependant, force est de reconnaître que les médias de masse demeurent des sujets de préoccupation pour toute personne ou organisation qui s’intéressent à l’avenir de l’éducation des adultes. Cette affirmation est d’autant plus vraie que ces médias sont de plus en plus accessibles via Internet – avec tout ce que ce changement implique comme nouvelles compétences à maîtriser dans l’avenir.
FINANCEMENT
Le financement est un thème transversal dans les argumentaires de l’ICÉA. Bien qu’il soit en constante adaptation aux demandes de différentes époques, ce thème témoigne de deux grandes préoccupations de l’ICÉA : d’une part, fournir un financement adéquat à l’éducation et à la formation des adultes; d’autre part, soutenir les personnes apprenantes dans la réalisation de leurs aspirations éducatives.
Il semble en effet que la démocratisation de l’éducation des adultes soit intimement liée à ces deux champs d’action en matière de financement. Ces champs supposent par ailleurs des actions coordonnées qui favorisent tout à la fois la production d’une offre de formation qui répond à des besoins réels ainsi qu’un accès large à cette offre de formation et aux institutions qui la dispensent. Aujourd’hui encore, ces revendications de l’ICÉA sont pleines d’actualité.
ET POUR L’AVENIR?
Des organisations de la société civile telles que l’ICÉA doivent continuer de mettre de l’avant tout à la fois la démocratisation de l’éducation des adultes ainsi que les grands thèmes qui lui sont associés. Ce fut assurément le cas dans les mémoires que nous avons produits depuis 2001. Mais, aucun de ces textes ne portait un regard global sur l’adoption d’une politique en éducation des adultes.
Citons en exemple, notre récent mémoire sur la réussite éducative. Ce document porte un regard large sur les défis à relever afin de faire de l’apprentissage un outil du développement des capacités et des compétences des adultes. Cependant, comme bien d’autre avant lui, il s’intéresse avant tout à une politique sectorielle.
Bref, la plupart des positions énoncées par l’ICÉA depuis 2001 portaient essentiellement sur des éléments isolés pouvant composer une politique globale. Pour l’avenir, il serait intéressant de les rassembler en un seul document et d’établir des concordances avec les thèmes analysés dans le présent article. Peut-être qu’ainsi nous pourrions réaffirmer avec vigueur l’importance de doter le Québec d’une politique d’éducation qui ne se limite pas à des secteurs ou à des populations ciblés; l’importance de répondre aux besoins de connaissances et de compétences de notre société du savoir à l’aide d’une politique globale, qui s’intéresse à tous les âges et à toutes les dimensions de la vie de chaque personne.
Notes
[1] Claude Ryan a présidé le conseil d’administration de l’Institut canadien d’éducation des adultes de 1955 à 1961.
[2] « La réforme du système scolaire entreprise chez nous à la suite des travaux de la Commission Parent, lors de la Révolution tranquille des années 60, était officiellement commandée par un souci de démocratisation et, notamment, d’accessibilité des ressources éducatives scolaires, de la maternelle à l’université, pour l’ensemble des Québécois. » [ICÉA, 1981 : p. 7]
[3] L’expression « formation de base » fait généralement référence aux apprentissages de base que sont l’écriture, la lecture, le calcul et même l’utilisation des outils et des environnements numériques de notre société moderne. Dans le mémoire de 1981, il est plutôt question de « formation générale de base », laquelle faisait référence à des apprentissages de base come l’écriture, la lecture ou le calcul, mais aussi à des apprentissages liés à la vie en société, la citoyenneté, etc.
[4] Le Comité des services aux collectivités de l’UQAM est une référence en la matière. Ce service a notamment été développé au début des années 1970 sous l’effet du Rapport Faure [UNESCO, 1972]. L’objectif était de démocratiser l’université et de l’ouvrir sur le milieu en mettant de l’avant une approche qui favorise la coproduction de savoirs universitaires et citoyens ainsi que le dialogue entre l’université et des partenaires du milieu.
[5] Il s’agit des niveaux primaire, secondaire et postsecondaire (où on retrouve le collégial et l’universitaire).
[6] Il est ici de s’assurer que le personnel qui enseigne au secteur des adultes bénéficie des mêmes conditions de travail que ce lui qui enseigne au secteur des jeunes.
[7] De 1977 à 1980, l’ICÉA a réalisé diverses campagnes et actions de représentation afin de faire faire connaître le droit au congé-éducation payé en matière d’éducation populaire, de formation générale et civique et de formation professionnelle. [ICÉA, 1981 : pp. 14-15]
[8] Le mémoire de 1981 formule par ailleurs une recommandation qui s’adresse plus spécifiquement à l’éducation populaire : « mettre en place les différentes formules financières, les modifications législatives et autres mesures pouvant permettre à ceux et celles qui le désirent, qu’ils ou qu’elles occupent ou non un emploi, de pouvoir se libérer pour participer à des activités d’éducation populaire. » [ICÉA, 1981 : Recommandation 2, p.35]
[9] Voir l’article « Lire pour apprendre, comprendre et agir » paru dans l’édition 2015 d’Apprendre + Agir.
BIBLIOGRAPHIE