Résumé
La publication des résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA) a ramené à l’avant-scène la notion de littératie. Ces résultats présentent un portrait des compétences des adultes liées à l’utilisation de l’écrit. Ils sont d’une grande utilité pour les gouvernements, les organismes de la société civile et les acteurs économiques, notamment dans la conduite d’actions stratégiques liées à l’alphabétisation et au développement des compétences en littératie.
Cependant, il faut prendre garde de ne pas les interpréter de manière trop simpliste. Qui n’a pas déjà lu, dans la presse écrite, un article déplorant le fait qu’un Québécois sur deux pouvait être considéré comme analphabète? Cette vision dichotomique des compétences des adultes s’accompagne trop souvent de discours négatifs qui dramatisent, dévalorisent ou banalisent les mesures de la capacité des adultes à utiliser l’écrit.
Le présent article tente de contrer ces discours négatifs et de favoriser une meilleure compréhension des résultats du PEICA en matière de littératie. Il propose des bases d’interprétation des mesures de la littératie qui se veulent représentatives de la réalité des adultes. Il n’y sera pas question de distinguer les adultes « qui savent lire » des adultes « analphabètes », mais bien de fournir un éclairage plus complet sur les dynamiques de lecture et d’apprentissage qui caractérisent les différentes populations d’adultes visées par le PEICA.
Lire pour apprendre, comprendre et agir
En octobre 2013, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a rendu public les résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA). Cette vaste enquête a notamment permis d’évaluer les compétences en littératie des adultes de 24 pays. Ces résultats présentent un portrait des compétences des adultes liées à l’utilisation de l’écrit. On pourrait même dire qu’ils nous informent des difficultés, ou de la facilité, que ces adultes éprouvent à lire différents type de textes.
Ces résultats peuvent s’avérer d’une grande utilité pour les gouvernements, les organismes de la société civile et les acteurs économiques, notamment dans la conduite d’actions stratégiques liées à l’alphabétisation et au développement des compétences en littératie. Cependant, ils sont souvent interprétés de façon simpliste. Par exemple, la notion de littératie est parfois présentée comme une mesure des compétences des adultes qui permet essentiellement de distinguer les personnes qui savent lire des personnes analphabètes. Est-ce vraiment le cas? Les mesures de la littératie ne se résument pourtant pas à cette représentation dichotomique des compétences des adultes; elles nous parlent même bien plus des personnes qui savent lire que des personnes analphabètes.
Les mesures de la littératie nous parlent bien plus des personnes qui savent lire que des personnes analphabètes.
Afin de contrer ces discours négatifs et de favoriser une meilleure compréhension des résultats du PEICA en matière de littératie, cet article proposera l’utilisation de bases d’interprétation plus représentatives de la réalité des adultes. À terme, il fournira un éclairage plus complet sur les dynamiques de lecture et d’apprentissage qui caractérisent les différentes populations d’adultes visées par le PEICA. Cet éclairage s’appuiera sur les résultats du PEICA et sur la classification que cette enquête fait des capacités des adultes participants. Quant à la démarche d’interprétation présentée ici, elle prendra la forme de trois constats1 établissant des liens entre le potentiel des compétences évaluées chez différentes populations d’adultes et les obstacles auxquels ils sont confrontés, selon le niveau de littératie où ils se classent.Par ailleurs, les discours négatifs qui dramatisent, dévalorisent ou banalisent la capacité à utiliser l’écrit de nombreux adultes sont une autre réalité associée aux mesures de la littératie. Ils stigmatisent certains groupes d’adultes. Qui n’a pas déjà lu, dans la presse écrite, un article déplorant le fait qu’un Québécois sur deux pouvait être considéré comme analphabète? Les résultats du PEICA permettent-ils vraiment de parvenir à une telle conclusion? Nous verrons dans cet article que la réalité des adultes est beaucoup plus complexe.
Lire, un outil d’émancipation aux dimensions multiples
Aujourd’hui, la lecture est au cœur de notre quotidien. Toutefois, cet acte n’a pas toujours eu l’importance qu’on lui accorde actuellement. Comme le soulignent Murray, Clermont et Binkley, « la forme la plus ancienne d’alphabétisation ne tenait guère qu’à la capacité de signer son nom. Beaucoup plus tard, on s’est mis à accorder de l’importance à la lecture orale, et ce n’est qu’au XXe siècle qu’on commença à lire surtout pour obtenir de l’information. » (Resnick et Resnick, 1997, dans Statistique Canada, 2005 : 96)
Selon les époques, lire a été utilisé de différentes manières afin d’atteindre différents objectifs. Depuis les dernières décennies, cet acte s’est en quelque sorte « démocratisé », favorisant l’émancipation des adultes qui le maîtrisent. Lire nous permet en effet d’apprendre et de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Cet acte permet également de faire ou d’agir dans notre communauté et, surtout, d’intervenir dans le cours de notre vie.
Dans cette perspective, lire revêt des dimensions sociale, récréative, formative, professionnelle et même économique. Lire est et sera toujours un outil de développement des capacités des adultes et de leurs capacités d’agir comme citoyenne ou citoyen. Cette affirmation est d’autant plus vraie dans un monde où les environnements écrits évoluent et se transforment rapidement, notamment à la faveur du numérique et des médias sociaux.
Lire est et sera toujours un outil de développement des capacités des adultes et de leurs capacités d’agir comme citoyenne ou citoyen.
Contrairement à ce qui pouvait être envisagé il y a vingt ans, l’écrit prend aujourd’hui forme dans une multitude d’environnements qui requièrent plus qu’une simple utilisation. L’adulte du 21e siècle doit non seulement comprendre ces environnements, mais être capable d’évaluer leur pertinence et leur utilité. Il doit ainsi démontrer une expertise croissante en résolution de problème et en communication complexe. Aujourd’hui plus que jamais, il est appelé à utiliser, à comprendre et à évaluer l’écrit dans une perspective citoyenne afin d’assurer son développement personnel et professionnel. La lecture suppose ainsi la mobilisation quotidienne de compétences particulières. À défaut d’être mobilisées, ces compétences perdront en force et l’adulte sera de plus en plus susceptible d’éprouver des difficultés à lire. Il ne sera pas pour autant analphabète. Il aura seulement besoin d’actualiser des habilités qu’il maitrisait par le passé mais qu’il a peu mises en pratique depuis des années.
La lecture suppose la mobilisation quotidienne de compétences particulières. À défaut d’être mobilisées, ces compétences perdent en force et l’adulte est de plus en plus susceptible d’éprouver des difficultés à lire.
Lire et apprendre, deux dimensions de la littératie
Bref, pour l’adulte du 21e siècle, l’action de lire est intimement liée à celle d’apprendre. Lecture et apprentissage sont imbriqués dans un jeu de relations qui contribuent à son autonomisation, de même qu’au développement de sa capacité à agir et à intervenir dans le cours de sa vie. Tout comme il faut apprendre à marcher pour pouvoir courir, il faut apprendre à lire pour pouvoir lire afin d’apprendre, de comprendre et d’agir.
Lire et apprendre se caractérisent par une interdépendance dont les effets se font sentir tout au long de notre vie. Il apparaît assez clairement que ces deux actes se conjuguent et participent à notre développement. Dans une telle perspective, lire et apprendre apparaissent comme des dimensions importantes de la notion de littératie.
À ce sujet, que nous disent les définitions de la littératie utilisées dans les enquêtes de l’OCDE depuis le début des années 1990 (tableau 1)? Ces définitions font référence à la capacité des adultes à comprendre et à utiliser l’écrit. On y fait des liens entre l’écrit et le développement des connaissances ou la croissance du potentiel des adultes. La plus récente, celle donnée dans le PEICA, fait référence à l’évaluation des compétences clés en traitement de l’information définies par le PEICA. Elle souligne même les liens qui existent entre l’acte de lire et la participation citoyenne de l’adulte ou le développement de son potentiel.
Il s’agit là d’une évolution intéressante de la notion de littératie, qui s’éloigne de la représentation plutôt « utilitaire » que pouvaient lui prêter les définitions des enquêtes précédentes. Toute la question est maintenant de savoir si cette évolution favorise une compréhension plus humaniste des résultats du PEICA en matière de littératie.
Pour parvenir à une compréhension des résultats du PEICA qui soit plus près de la réalité des adultes, il semble nécessaire de se représenter la notion de littératie sous un angle différent. Alors, pourquoi ne pas enrichir notre compréhension de la notion de littératie en recherchant une définition qui présente la lecture et l’écriture comme des outils essentiels au développement continu des compétences d’un adulte et ainsi de son développement global?
À ce titre, la définition mise de l’avant par le Conseil international d’éducation des adultes (ICAE) dans Agenda For the Future: Six Years Later (2003), apparaît des plus appropriées : « […] Apprendre à lire et à écrire (des textes et des chiffres), lire et écrire afin d’apprendre ainsi que développer ces compétences et les utiliser efficacement pour combler des besoins de base. » Cette définition fait des actes de lire et d’apprendre des dimensions centrales de la notion de littératie, sans pour autant remettre en cause la pertinence d’évaluer des compétences clés en traitement de l’information comme le fait le PEICA.
Lire nous permet de développer les compétences nécessaires pour apprendre, comprendre et agir. Lire permet ainsi d’avoir prise sur les changements qui affectent le cours de notre vie.
Le défi de la littératie au 21e siècle
Lire nous permet donc de développer les compétences nécessaires pour apprendre, comprendre et agir. Lire permet ainsi d’avoir prise sur les changements qui affectent le cours de notre vie. Inversement, l’adulte qui peine à lire doit subir ces changements et tenter de s’y adapter, tant bien que mal. C’est en gros ce que nous rappellent les trois grandes enquêtes menées sur la littératie depuis le début des années 1990.
L’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes (EIAA, 1994) et l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA, 2003) ont démontré qu’un grand nombre d’adultes éprouvaient des difficultés à utiliser l’écrit. Aujourd’hui, les résultats du PEICA confirment cet état de fait, tout en soulignant un fait nouveau : les exigences liées à l’utilisation de l’information écrite sont maintenant plus grandes, notamment en raison de la multiplication et de la complexification des environnements numériques.
Plus que jamais, il est nécessaire de bien comprendre la nature et les effets des difficultés qu’éprouvent les adultes à utiliser l’écrit.
Comprendre et interpréter les résultats du PEICA
Le défi de la littératie en 2014 demeure donc entier, tout particulièrement en ce qui concerne la multiplication et la complexification des environnements écrits propres à nos sociétés modernes. Plus que jamais, il est nécessaire de bien comprendre la nature et les effets des difficultés qu’éprouvent les adultes à utiliser l’écrit. À ce titre, les résultats du PEICA constituent une source d’information non négligeable. Ils sont peut-être difficilement comparables avec ceux des enquêtes précédentes, mais ils présentent une évaluation du potentiel des compétences de différents groupes d’adultes qu’il est possible de classer selon différents niveaux de littératie.
Afin de faciliter la compréhension des résultats de la plus récente enquête de l’OCDE, nous avons porté une attention particulière aux relations qui caractérisent les différents niveaux de l’échelle de littératie du PEICA. Nous avons choisi d’examiner ces niveaux dans la perspective du continuum des compétences qu’ils représentent. La figure 1 tente d’illustrer ce continuum. Elle présente des données quantitatives directement tirées de l’enquête de l’OCDE, d’une part, et des données qualitatives qui sont le fruit d’un exercice de caractérisation fait par l’ICÉA, d’autre part.
Une lecture attentive des précisions apportées par le cadre du PEICA nous a permis d’associer chaque niveau de littératie à des variables qui traduisent les attentes de l’enquête4 à l’égard des adultes participants ainsi que la facilité à lire qui découle de ces attentes.
Nous croyons qu’en fonction de la complexité de ces attentes, que nous avons qualifiées de très faibles à très grandes selon le niveau de littératie, il est possible d’imaginer différents stades du développement progressif de la facilité à lire des adultes. Ces stades sont présentés dans la figure 1 par une échelle de notre cru qui va d’une grande difficulté à une grande facilité à lire.
Enfin, le fait de lier les niveaux de l’échelle de littératie à des variables associées (attentes du PEICA et facilité à lire) nous a permis de faire des regroupements et de conclure à la mise en œuvre de dynamiques de lecture et d’apprentissage qui illustrent ces mêmes variables.
Les adultes qui se classent aux niveaux 1 et inférieur à 1 de l’échelle de littératie peinent à lire pour apprendre.
Inversement, les niveaux supérieurs de l’échelle de littératie se caractérisent par des attentes plus élevées. Ici encore, ces attentes plus élevées traduisent selon nous une plus grande facilité à lire. Il est donc possible de conclure que les adultes qui se classent à ces niveaux mettent en œuvre des dynamiques de lecture et d’apprentissage leur permettant de lire pour apprendre, comprendre et agir5.Si l’on se rapporte au cadre du PEICA, les niveaux les plus bas de l’échelle de littératie se caractérisent par des attentes relativement faibles à l’égard des adultes participants. Ces faibles attentes traduisent selon nous des difficultés à lire de différents ordres. Conséquemment, il est possible de soutenir que les dynamiques de lecture et d’apprentissage mises en œuvre par les adultes qui se classent aux niveaux 1 et inférieur à 1 de l’échelle de littératie font en sorte qu’ils peinent à lire pour apprendre.
Les adultes qui se classent aux niveaux supérieurs de l’échelle de littératie sont capables de lire pour apprendre, comprendre et agir.
Les trois grands constats du PEICA et les politiques publiques
Les dynamiques de lecture et d’apprentissage présentées par la figure 1 illustrent selon nous la réalité des différents groupes d’adultes dont les compétences en littératie ont été évaluées par le cadre du PEICA. Cette représentation de ce qui est évalué par le PEICA est d’ailleurs complétée par des illustrations de ce que peuvent être l’autonomie d’action et la capacité d’agir des adultes selon le niveau de littératie où ils se classent. Ces illustrations mettent en relief la situation précaire où se retrouvent certains groupes d’adultes, notamment ceux qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie.
Trois grands constats tirés des résultats du PEICA sont soulignés par la figure 1. De manière générale, ces constats mettent en lumière la nécessité de fournir aux adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie des environnements écrits simplifiés et des services publics adaptés.
Il est en effet difficile d’imaginer qu’un adulte qui éprouve des grandes difficultés de lecture puisse affirmer son autonomie d’action dans un contexte où, pour agir et se prendre en main, il doit comprendre l’écrit. C’est pourtant la situation où se retrouvent de nombreux adultes en recherche d’emploi : ils ont de moins en moins accès à l’aide de personnes-ressources et doivent de plus en plus interagir avec des outils ou des interfaces numériques.
Un adulte qui éprouve des grandes difficultés de lecture ne peut affirmer son autonomie d’action dans un contexte où, pour se prendre en main, il doit comprendre l’écrit.
L’analyse de cette représentation soulève de nombreuses interrogations au sujet des politiques à mettre en œuvre pour aider les adultes à développer des pratiques de lecture qui favoriseraient le maintien et le rehaussement de leurs compétences en littératie. Répondre à ces questions est la suite logique du travail amorcé ici. C’est dans cette perspective que nous reprenons les principaux constats que les résultats du PEICA nous offrent.
PREMIER CONSTAT
UNE PERSONNE SUR CINQ AU QUÉBEC EST SUSCEPTIBLE DE SE RETROUVER DANS UNE SITUATION OÙ ELLE ÉPROUVERA DE GRANDES OU DE TRÈS GRANDES DIFFICULTÉS À COMPRENDRE L’ÉCRIT.
Ce premier constat est inquiétant. Il souligne la grande ou la très grande faiblesse des compétences en littératie d’un trop grand nombre d’adultes au Québec. Si l’on se rapporte aux attentes définies par le PEICA relativement au traitement de l’information écrite par les adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie, il est clair que ces personnes éprouvent des difficultés de lecture considérables. (OCDE 2013, 2013a et 2009)
L’atteinte du niveau inférieur à 1 de l’échelle de littératie du PEICA commande de repérer dans un texte court, portant sur un sujet familier, une information identique à celle donnée dans la question. (OCDE 2013) L’adulte capable de réaliser les tâches de ce niveau n’a finalement qu’une connaissance du vocabulaire de base. Il éprouve de grandes difficultés à lire.
Comparativement, le niveau 1 commande de repérer une information identique ou synonyme à celle donnée dans la question dans des textes de différents formats (continus, non continus ou mixtes) et disponibles sur différents supports (imprimés ou numériques). (OCDE, 2013) À ce niveau, un adulte lit avec plus d’aisance : il peut saisir le sens d’une phrase et même remplir un formulaire simple. Cependant, il éprouve malgré tout des difficultés à lire.
Compte tenu de la complexité des environnements écrits qui caractérisent notre société, les personnes qui se classent aux niveaux 1 et inférieur à 1 de littératie éprouvent des difficultés de lecture considérables.
Les résultats du PEICA montrent que les difficultés éprouvées par ces adultes ont des répercussions sur leur quotidien : faible participation à la formation, accès plus difficile au marché du travail, plus faible rémunération, confiance limitée aux autres et à l’État, aveux d’un moins bon état de santé, etc. (OCDE, 2013)
Compte tenu de la complexité des environnements écrits qui caractérisent notre société, ces personnes se retrouvent dans une situation où il leur est difficile, voire impossible, de lire pour apprendre, comprendre ou agir en pleine autonomie. La capacité d’initiative et l’autonomie d’action de ces personnes sont limitées en présence d’environnements écrits de plus en plus complexes.
Ces personnes gagneraient beaucoup en ayant accès à des services publics (éducatifs et de tous ordres) et des environnements écrits mieux adaptés à leur réalité. Les réflexions d’un groupe de 22 organisations de la société civile unies dans le Réseau de lutte à l’analphabétisme ont permis d’identifier quatre dimensions essentielles de l’action à mener auprès des personnes peu ou pas alphabétisées.
Aider les adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie ne peut se limiter à la seule dimension de l’apprentissage.
Comme l’illustre le tableau 2, un cadre d’intervention visant à aider les adultes qui se classent aux niveaux les plus bas de l’échelle de littératie ne peut se limiter à la seule dimension de l’apprentissage. Il en va de l’efficacité même des politiques mises en œuvre. Aider des adultes à s’approprier l’acte de lire, c’est non seulement leur permettre d’actualiser ou de réapprendre des compétences qu’ils n’ont pas utilisées depuis longtemps, mais aussi s’attaquer aux obstacles qui limitent chaque jour leur autonomie d’action.
Des conditions de vie précaires centrées sur la satisfaction de besoins fondamentaux comme la survie ou la sécurité peuvent limiter la capacité d’agir d’une personne. À ce titre, les conditions de vie d’une personne sans emploi, prestataire de la sécurité du revenu, handicapée, autochtone ou chef de famille monoparentale s’avèrent peu propices à l’apprentissage, à l’affirmation de ses droits ou à sa participation citoyenne.
L’autonomie d’action d’une personne peut également être limitée par la multiplication et la complexification des environnements écrits. En milieu de travail, l’introduction de nouvelles technologies ou la nécessité de produire un rapport pour satisfaire à une norme ISO, par exemple, sont des obstacles réels pour une personne en emploi qui s’avère incapable de mettre en œuvre des pratiques de lecture et d’écriture lui permettant d’aborder cet environnement écrit.
Finalement, la capacité d’agir d’une personne peut être minée par les obstacles qui surgissent dans ses rapports avec l’État et la société civile : préjugés de toutes sortes, méconnaissance de la réalité des personnes peu ou pas alphabétisées, informatisation des services au détriment d’une relation d’aide personnalisée, etc.
L’autonomie d’action d’une personne peut également être limitée par la multiplication et la complexification des environnements écrits.
DEUXIÈME CONSTAT
UNE PERSONNE SUR TROIS AU QUÉBEC EST SUSCEPTIBLE DE SE RETROUVER DANS UNE SITUATION OÙ SA CAPACITÉ À LIRE SERA RELATIVE À LA PRÉSENCE DE CONDITIONS FACILITANTES OU D’ENVIRONNEMENTS ÉCRITS NON COMPLEXES.
Ce constat souligne le fait que la compréhension de l’écrit d’un tiers de la population du Québec se révèle limitée en présence de certains obstacles. Si l’on se rapporte aux attentes définies par le PEICA relativement au traitement de l’information écrite par les adultes qui se classent au niveau 2 de l’échelle de littératie, il est clair que ces personnes sont susceptibles d’éprouver des difficultés en présence d’un environnement écrit complexe. (OCDE 2013, 2013a et 2009)
À l’opposé des niveaux les plus bas, le niveau 2 de l’échelle de littératie suppose des attentes plus élevées en ce qui concerne le traitement de l’information écrite. À ce niveau, un adulte doit lire des textes plus longs, sur différents supports (imprimés ou numériques) et de formats variés (continus, non continus ou mixtes). Il ne doit plus simplement identifier une information, mais établir des correspondances entre le texte et l’information demandée dans la question. Il doit par ailleurs mettre en œuvre des compétences plus complexes, comme effectuer des paraphrases ou des inférences simples, comparer ou mettre en opposition des informations ou engager une réflexion à leur sujet. (OCDE 2013) Bref, cet adulte est en mesures de traiter l’information écrite avec plus d’aisance, ce qui l’aide à affirmer sa capacité d’action, à se prendre en main et à agir avec plus d’autonomie.
Les adultes qui se classent au niveau 2 de littératie ont la capacité de lire pour apprendre en présence de conditions facilitantes.
Ceci dit, si ces personnes parviennent à lire pour apprendre, leur autonomie d’action et leur capacité d’initiative demeurent limitées par certains obstacles. Il est par ailleurs reconnu qu’elles gagneraient beaucoup à développer des pratiques quotidiennes de lectures. Pratiques qui seraient elles-mêmes facilitées par la présence d’environnements écrits adaptés dans des domaines stratégiques comme la santé et les services sociaux, l’immigration, l’aide à l’emploi, l’éducation et les services publics. Outre la dimension de l’environnement écrit (voir le tableau 2), l’action à mener auprès de ces adultes doit également tenir compte des rapports avec l’État et la société civile.
Il faut bien comprendre que les adultes qui se classent au niveau 2 de littératie ont la capacité de lire pour apprendre en présence de conditions facilitantes. L’action de l’État et de la société civile à leur égard doit favoriser la mise en place de ces conditions.
TROISIÈME CONSTAT
MOINS D’UNE PERSONNE SUR DEUX AU QUÉBEC EST SUSCEPTIBLE DE DÉMONTRER LA MAÎTRISE DE COMPÉTENCES EN LITTÉRATIE QUI FERONT EN SORTE QU’ELLE SERA CAPABLE DE LIRE SANS DIFFICULTÉ ET QU’ELLE SERA INCITÉE À LE FAIRE POUR APPRENDRE, COMPRENDRE, FAIRE OU AGIR EN TOUTE AUTONOMIE.
Ce dernier constat souligne le fait qu’à peine une personne sur deux peut traiter et utiliser l’information écrite en toute autonomie et ainsi affirmer sa capacité à lire pour apprendre, comprendre, agir et intervenir dans le cours de sa vie. Dans une société où les environnements écrits se transforment et se complexifient, c’est trop peu. Il est essentiel de faire en sorte qu’un nombre toujours croissant d’adultes développent des pratiques de lectures leur permettant de maintenir et de rehausser leurs compétences en littératie.
Parvenir à une interprétation plus représentative de la réalité des adultes
En conclusion de cet article, il importe de rappeler que notre objectif de départ était d’éviter de réduire les résultats du PEICA à la seule distinction entre les personnes alphabétisées et analphabètes. Nous voulions ainsi échapper aux discours négatifs qu’il est possible de tenir sur l’évaluation des compétences des adultes et leurs capacités à utiliser l’écrit.
Pour atteindre cet objectif, nous avons présenté trois constats qui s’inspirent des liens établis à la figure 1 entre les niveaux de littréatie et les dynamiques de lecture et d’apprentissage qui caractérisent les adultes visés par le PEICA. Ceci dit, quelques précisions doivent être formulées afin d’établir clairement que ces constats constituent des bases d’interprétation des résultats du PEICA plus représentatives de la réalité des adultes.
Ces constats traduisent essentiellement la réalité d’adultes capables de lire. Il n’y est jamais question de personnes analphabètes.
Pour obtenir un portrait de la réalité d’adultes pouvant être qualifiés d’analphabètes, il faudrait analyser les mesures des composantes de la lecture du PEICA. Ces mesures ont été réalisées lorsque les adultes engagés dans l’enquête échouaient au test de base qui précédait l’évaluation de leurs compétences en littératie.Premièrement, il importe de préciser que ces constats traduisent essentiellement la réalité d’adultes capables de lire. Ils illustrent les réalités bien différentes d’au moins trois populations d’adultes. Ils lient les adultes de ces populations à des dynamiques de lectures et d’apprentissage qui suggèrent un développement progressif de leur facilité à lire et de leur capacité à utiliser la lecture pour apprendre comprendre et agir. Cependant, il n’y est jamais question, à proprement parler, de personnes analphabètes. En effet, à l’instar des résultats du PEICA, ces constats ne font pas état de la situation d’adultes dont les compétences en littératie sont si faibles qu’ils peinent à comprendre un vocabulaire de base ou à décoder une phrase simple.
Deuxièmement, il importe de souligner que ces constats mettent en relief le potentiel des capacités de différentes populations d’adultes visées par le PEICA plutôt que les capacités réelles de ces adultes. Ainsi, si la figure 1 suggère que les adultes qui se classent aux niveaux 1 et inférieur à 1 de littératie « peinent à lire pour apprendre », il serait faux de croire qu’ils ne parviennent jamais « à lire pour apprendre » quelles que soient les circonstances. Il faut bien comprendre ici que, si les données du PEICA indiquent que la capacité de réussite d’un groupe d’adultes est à son meilleure au niveau 2 de littératie, par exemple, la méthodologie du PEICA suggère que ces adultes sont capables de réussir des tâches liées aux niveaux 3, 4 ou 5 de littératie. Le fait est que ces adultes ont effectivement réussi des tâches de niveaux supérieurs, sans toutefois atteindre le seuil de réussite nécessaire pour se classer à un niveau supérieur.
Ces constats soulignent la valeur fondamentale de l’acte de lire : un acte lié au droit d’apprendre tout au long de la vie, qui est garant de l’autonomie d’action et de la capacité d’agir des adultes.
À la lumière de ces précisions, force est d’admettre que ces constats s’avèrent plus représentatifs de la réalité des adultes parce qu’ils cherchent à illustrer le caractère évolutif de cette réalité. Il n’y est jamais question d’absolu ou de fatalité. Bien au contraire, ces constats nous encouragent à comprendre et à interpréter les résultats du PEICA en matière de littératie dans la double perspective de l’apprentissage tout au long de la vie, d’une part, et de la valorisation des adultes et de leurs compétences, d’autre part.Troisièmement, il importe de rappeler que ces constats soulignent la valeur fondamentale de l’acte de lire : un acte intimement lié au droit d’apprendre tout au long de la vie, qui est garant de l’autonomie d’action et de la capacité d’agir des adultes. Un acte qui participe au développement continu de nos compétences; des compétences qui peuvent décroître si elles ne sont pas régulièrement actualisées par la mise en œuvre de pratiques diversifiées.
Questions pour aller plus loin
- Outre l’autonomie et la capacité d’action, la difficulté à lire affecte quelles autres dimensions de la vie d’un adulte?
- Quelles actions de l’État et de la société civile aideraient un nombre croissant d’adultes à lire pour apprendre?
- Quelles autres mesures pourraient être utilisées pour évaluer la capacité des adultes à lire pour apprendre, comprendre et agir en pleine autonomie?
1. Ces trois constats ont déjà été énoncés dans un article intitulé « Des clés pour comprendre la littératie en 2014 », diffusé à l’occasion de l’institut d’été 2014 de l’organisme The Centre for Literacy (Exploiter les données du PEICA : alimenter la recherche, soutenir les pratiques, 25 au 27 juin 2014) et rediffusé en octobre 2014.
2. Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes.
3. Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes.
4. Lire l’article Des clés pour comprendre la littératie en 2014 (clés no 13, 14 et 15), rendu public à l’occasion de l’Institut d’été 2014 : Exploiter les données du PEICA – alimenter la recherche, soutenir les pratiques. L’événement tenu les 25, 26 et 27 juin 2014 était organisé par The Centre for Literacy.
5. Nous paraphrasons ici les propos de monsieur Paul Bélanger, qui formulait cette distinction dans une communication faite à l’occasion d’une conférence sur le thème de la littératie organisée par le Collège Frontière en décembre 2013. Voir l’article suivant pour les détails : « Apprendre à lire ou lire pour apprendre?».
Bibliographie
-
Conseil canadien sur l’apprentissage (2007). Libérer le potentiel des Canadiens : Rapport 2007 sur l’état de l’apprentissage en milieu de travail et chez les adultes, Ottawa, 38 p. [En ligne] http://www.ccl-cca.ca/pdfs/SOLR/2007/AdultFRA19Juin11h00FINALv5.pdf (Consulté le 28 mars 2014)
-
Conseil canadien sur l’apprentissage (2008). Lire l’avenir : Pour répondre aux besoins futurs du Canada en matière de littératie, Ottawa, 83 p. [En ligne] http://www.ccl-cca.ca/pdfs/ReadingFuture/LiteracyReadingFutureReportF.pdf(Consulté le 28 mars 2014)
-
Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) et Statistique Canada (2013). Compétences au Canada – Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), ANNEXE D, Toronto, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), 39 p.
-
Conseil international d’éducation des adultes (CIEA). Agenda For the Future: Six Years Later, présentation à la CONFINTEA+6, conférence de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) sur l’éducation et la littératie des adultes, Bangkok, Thaïlande, 8 au 11 septembre 2003.
-
Conseil supérieur de l’éducation (2013). Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes, avis à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport et au ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, septembre 2013.
-
Institut de la statistique du Québec (2006). Développer nos compétences en littératie : un défi porteur d’avenir. Rapport québécois de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (EIACA) 2003, ISQ, Québec, 257 p.
-
Legendre, R. (2005). Dictionnaire actuel de l’éducation, 3e édition, Montréal, Guérin Éditeur, 1584 p.
-
OCDE (2009), PIAAC Literacy: A Conceptual Framework, OECD Education Working Paper No. 34. [En ligne] http://search.oecd.org/officialdocuments/displaydocumentpdf/?doclanguage…(2009)13 (Consulté le 4 février 2014)
-
OCDE (2013), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013 : Premiers résultats de l’Évaluation des compétences des adultes, Éditions OCDE, 484 p.
-
OCDE (2013a), The Survey of Adult Skills: Reader’s Companion, OECD Publishing. [En ligne] http://dx.doi.org/10.1787/9789264204027-en (Consulté le 4 février 2014)
-
OCDE et Statistique Canada (1995). Littératie, économie et société. Résultats de la première Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes, Ottawa, Ministre de l’Industrie, 217 p.
-
OCDE et Statistique Canada (2000). La littératie à l’ère de l’information, Rapport final de l’Enquête internationale sur la littératie des adultes, Organisation de coopération et de développement économiques, Paris, et Ministre de l’Industrie, Ottawa, 191 p.
-
OCDE et Statistique Canada (2005). Apprentissage et réussite : Premiers résultats de l’enquête sur la littératie et les compétences des adultes, Organisation de coopération et de développement économiques, Paris, et Ministre de l’Industrie, Ottawa, 338 p.
-
OCDE et Statistique Canada (2011). La littératie, un atout pour la vie : Nouveaux résultats de l’Enquête sur la littératie et les compétences des adultes, Organisation de coopération et de développement économiques, Paris, et Ministre de l’Industrie, Ottawa, 402 p.
-
Statistique Canada (2003). Miser sur nos compétences : Résultats canadiens de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes, Ressources humaines et Développement des compétences Canada, Ottawa, 246 p.
-
Statistique Canada (2005). Mesurer la littératie et les compétences des adultes : des nouveaux cadres d’évaluation, Ottawa, Ministre de l’Industrie, 437 p.
-
Statistique Canada (2013). Les compétences au Canada : Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), Ottawa, Ministre de l’Industrie, 117 p.