Jean-Pierre Mercier, professeur au département d’éducation et formation spécialisées de l’UQAM
Nikolas Parent-Poisson, bachelier en sociologie, UQAM
Catherine Dalle, étudiante au baccalauréat en enseignement du français langue seconde, UQAM
INTROCUCTION
Cet article s’intéresse aux besoins des mères étudiantes de la formation générale des adultes (FGA), du collégial et du premier cycle universitaire en lien avec l’articulation études-famille-emploi (AEFE). Il s’intéresse aussi aux stratégies institutionnelles de l’AEFE dans ces trois contextes de formation.
Les informations que nous avons analysées peuvent représenter la réalité de bien des mères étudiantes qui conjuguent les études avec leurs autres sphères de vie, ainsi que des stratégies mises en œuvre dans plusieurs organisations scolaires au Québec.
PROBLÈME ET OBJECTIFS DE L’ÉTUDE
L’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA) appelle depuis longtemps à prendre en compte les besoins et les réalités spécifiques des adultes en formation, notamment en matière de conciliation études-famille-emploi. Quels sont leurs besoins? Quelles sont les stratégies institutionnelles innovantes qui répondent à ces besoins?
Une des caractéristiques qui distinguent les jeunes des adultes en formation est certainement la charge de responsabilités. Les adultes, surtout des femmes, doivent généralement travailler pour répondre à leurs propres besoins, à ceux des enfants ou de personnes à charge.
Ces responsabilités posent des obstacles à leur participation à la formation (Cross, 1981). D’ailleurs, le manque de temps lié à la charge familiale pour ne pas participer à la formation est plus souvent invoqué par les femmes que par les hommes (Corbeil et al., 2011; Doray et al., 2005; Lavoie et al., 2008).
Au regard de la littérature que nous avons consultée (Mercier et Parent-Poisson, 2019), la composante des études, dans le triptyque études-famille-emploi, apparait peu documentée. Comme l’ont souligné des personnes autrices, les besoins des adultes et les stratégies des institutions scolaires quant à l’AEFE sont peu connus dans le contexte québécois (Alberio et Tremblay, 2017; Corbeil et al., 2011).
REPÈRES NOTIONNELS
Dans la littérature que nous avons consultée, la conciliation études-famille-emploi désigne l’équilibre entre les exigences et les responsabilités relevant de sphères de vie différentes. Pour Lapointe-Therrien et Richard (2018), la conciliation études-famille-emploi se concrétise dans la constante réorganisation des gens dans leur quotidien.
Pour notre étude, nous avons retenu la notion d’AEFE, suggérée par Descarries et Corbeil (2002 dans Corbeil et al., 2011 p. 11). Cette idée met l’accent sur la dimension collective de la complexité à articuler des univers sociaux qui ont leurs logiques d’action propres et qui sont donc difficiles à concilier.
Quant au triptyque études-famille-emploi, seul le dernier terme évoque littéralement une activité de production, laissant penser que les études et la famille excluraient tout travail. Or, ces trois dimensions incluent toutes beaucoup de travail. Au bout du compte, il faut reconnaitre que les personnes qui articulent ces trois univers travaillent beaucoup, la tâche d’articulation consistant un travail en soi. Tout ce travail (domestique, scolaire, professionnel) relève de tâches très distinctes qui sont toutes autant utiles, voire nécessaires, au fonctionnement de la société (Delphy, 2013).
Pour saisir les besoins des mères étudiantes en matière d’AEFE, nous avons retenu une définition de sens commun. La notion de besoin désigne ici les exigences de la vie sociale, un état d’insatisfaction ou la perception que ces femmes ont des éléments nécessaires à leur bien-être et à celui de leurs proches. Quant à la notion de stratégie institutionnelle de l’AEFE, elle réfère à toute manière de faire, politique ou programme mis en place par une organisation scolaire pour faciliter spécifiquement l’articulation des études avec la famille, la vie personnelle ou l’emploi.
MÉTHODOLOGIE
Cette étude a été approuvée par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains (CIEREH) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Elle couvre trois volets : la FGA, le collégial et le premier cycle universitaire.
L’enquête de terrain s’est respectivement déroulée en mai et juin 2020 pour les volets universitaire et de la FGA, puis en octobre 2020 pour le volet collégial.
Les données ont été produites à l’aide des méthodes suivantes : recension de la littérature sur l’AEFE au Québec, questionnaire sociodémographique, groupes de discussion avec les mères étudiantes sur leurs besoins concernant l’AEFE, entretiens semi-dirigés avec les responsables de l’AEFE dans les trois milieux participants et collecte des documents institutionnels produits par ces milieux au sujet de l’AEFE. De plus, des questions sur l’AEFE en temps de COVID-19 ont été introduites dans les guides d’entretien.
Lors des groupes de discussion, il est arrivé qu’une participante ait dû interrompre sa participation pour s’occuper de son enfant lorsque celui-ci était à la maison. De plus, les problèmes de lien Internet ont parfois nui au rythme et au développement des discussions. En ce qui concerne les conditions dans lesquelles l’enquête de terrain a eu lieu, elles révèlent les contraintes qui limitent les mères étudiantes dans leurs efforts d’articulation, problème encore plus présent en temps de pandémie de COVID-19.
Nous souhaitions d’abord rencontrer des personnes étudiantes jouant différents rôles sociaux. Elles pouvaient occuper ou non un emploi et exercer un rôle parental ou non. Toutefois, nous avons rapidement constaté que ce sont les mères étudiantes qui répondaient majoritairement à notre invitation. D’autres recherches conduites auprès de la population des parents étudiants (Corbeil et al., 2011; Francœur et al., 2018) ont montré que les personnes participantes sont majoritairement des femmes. Cela peut s’expliquer par le fait que l’AEFE pèse davantage sur elles que sur les hommes et qu’elles désirent faire connaitre leur situation et leurs besoins.
Le tableau 1 expose une synthèse de l’échantillon des dix mères étudiantes participantes selon quelques-unes de leurs caractéristiques.
Les données produites à l’aide de l’entretien semi-dirigé et de la collecte des documents institutionnels comportent les informations afférentes aux stratégies institutionnelles de l’AEFE. Ces documents ont été repérés dans les sites Internet des organisations ou obtenus à la suite de l’entretien semi-dirigé avec chaque responsable de l’AEFE dans son organisation. Les trois organisations participantes sont celles fréquentées par les mères étudiantes des groupes de discussion.
Ce corpus de sources d’information a été l’objet d’une analyse de contenu réalisée avec le soutien du logiciel d’analyse qualitative NVivo (version 12.6). Le contenu des sources d’information a été codé en fonction des besoins de connaissances de l’ICÉA.
LES BESOINS DES MÈRES ÉTUDIANTES
Chez les mères étudiantes que nous avons rencontrées, les besoins concernant l’AEFE sont nombreux. Que ces besoins s’expriment chez celles de la FGA, du collégial ou du premier cycle universitaire, ils sont interreliés de façon complexe. Ils concernent le réseau social de soutien (familial, domestique, amical), la santé et tout particulièrement la santé mentale, les enfants, les exigences scolaires, les politiques ou services, l’emploi et les études pendant la pandémie.
Nous avons observé que les besoins des mères étudiantes de la FGA se distinguent significativement de ceux des autres participantes du collégial et du premier cycle universitaire. C’est pour cette raison que nous présentons séparément les besoins des mères étudiantes du cégep et de l’université, puis ceux des mères étudiantes de la FGA.
LES BESOINS DES MÈRES ÉTUDIANTES DU CÉGEP ET DE L’UNIVERSITÉ
Le réseau social de soutien
Les participantes de l’université bénéficient de davantage de soutien de leur réseau que celles du cégep. Presque toutes mentionnent une aide reçue par la famille, mais aussi de leurs camarades de classe ou encore des parents des amis de leur(s) enfant(s). Leur conjoint peut également jouer un rôle et certaines des participantes ont détaillé des stratégies de séparation des tâches. Néanmoins, c’est à elles qu’incombe la coordination du travail domestique, qui est une tâche en soi.
La santé mentale
En ce qui concerne la santé mentale, la littérature recensée et les mères étudiantes que nous avons rencontrées abordent souvent les thèmes suivants : stress, surmenage, sentiment d’isolement et d’incompétence, besoin de repos. Les propos des participantes sur ce sujet ont trait aux attentes sociales liées au rôle de mère, notamment à la culpabilité de demander à des gens de garder leurs enfants ou de ne pas toujours faire des lunchs jugés adéquats.
La multitude de tâches à concilier influence la santé des participantes. Le manque de temps est la source principale du stress qui accompagne leurs efforts dans l’AEFE. Elles mentionnent ressentir une pression de performance scolaire puisqu’elles travaillent pour assurer un avenir à leur(s) enfant(s) tout en ayant le souci d’être un modèle à suivre.
Les enfants
La situation des enfants influence les possibilités d’articulation des mères étudiantes. Ceci illustre bien que l’AEFE est un phénomène dynamique en constante évolution. Par exemple, il devient possible de libérer du temps pour les études quand l’enfant commence la maternelle. Pourtant, aider l’enfant à faire ses devoirs, faire les lunchs ou participer aux rencontres de parents sont des tâches qui réduisent le temps pouvant être consacré aux études.
Les exigences scolaires
Plusieurs participantes parlent de surcharge par rapport à leurs études : grand nombre de travaux à rendre et de cours à l’horaire, fins de session éprouvantes.
De plus, certaines évoquent la difficulté de créer un réseau de collègues à l’école. Une plus petite cohorte serait facilitante pour répondre aux exigences scolaires, puisque les collègues, par cette proximité, feraient preuve d’empathie à l’égard de leurs pairs parents étudiants.
Pour les mères étudiantes du cégep et de l’université, les travaux d’équipe constituent une réelle contrainte à l’articulation études-famille et créent beaucoup d’anxiété pour les participantes de notre étude. Elles ne se sentent pas à la même place dans leur vie que la moyenne des personnes étudiantes sans enfants. Le contraste de leurs réalités respectives et l’écart d’âge amenuisent leur capacité à se sentir proche de leurs collègues. Ceci est mis de l’avant par les participantes lorsqu’elles évoquent les difficultés de concilier les horaires des membres d’une équipe avec le leur.
D’autres travaux de recherche ont mis de l’avant la spécificité des contraintes d’horaire des mères étudiantes dans l’AEFE (Coalition pour la conciliation famille-travail-études, 2016; Corbeil et al., 2011; Francœur et al., 2018). Pour elles, concilier leur temps avec celui de leurs collègues est difficile. Ça le devient d’autant plus lorsque leurs collègues qui n’assument pas de responsabilités parentales n’abordent pas leurs études avec le même sérieux. Malgré tout, développer de bonnes relations avec leurs camarades de classe les aiderait à négocier avec eux les conditions de réalisation des travaux.
Les politiques et services publics
L‘aide financière aux études (AFE) reconnait les personnes étudiantes monoparentales ayant un ou des enfants à charge de moins de douze ans. Effectivement, même si la personne étudie à temps partiel, elle est considérée à temps plein. Cette mesure permet aux parents étudiants monoparentaux de réduire leur horaire de cours tout en recevant l’AFE à temps plein.
Toutefois, cette mesure s’applique uniquement aux études collégiales et universitaires. Elle allonge la durée des études ainsi que l’endettement. Pour les services de garde sur les lieux d’études, une seule participante a mentionné les avoir utilisés lorsqu’elle étudiait à l’université, ce qui laisse penser qu’ils sont lacunaires, sinon incompatibles avec les besoins des mères étudiantes.
L’emploi
Environ la moitié des participantes du collégial ou du premier cycle universitaire occupaient un emploi lors de l’enquête de terrain. Deux participantes disent avoir choisi un emploi offrant un horaire flexible. Une autre participante « fait des remplacements » dans un emploi en même temps qu’elle poursuit un stage rémunéré pour « subvenir à [s]es besoins ».
LES BESOINS DES MÈRES ÉTUDIANTES DU CENTRE D’ÉDUCATION DES ADULTES (CÉA)
Le réseau social de soutien
Le réseau social de soutien des mères étudiantes en FGA semble moins soutenant que celui des autres participantes de l’étude. C’est pourquoi elles réfèrent surtout aux services sociaux plutôt qu’à la famille et aux amies. D’ailleurs, en matière d’AEFE, la mesure Ma place au soleil répond à une partie des besoins des mères étudiantes du CÉA (soutien financier, accompagnement psychosocial, orientation, etc.)
Ma place au soleil est une mesure intersectorielle qui vise l’insertion sociale et professionnelle des jeunes parents non diplômés désirant retourner aux études en FGA. La visée de cette mesure est de lutter contre la transmission intergénérationnelle de la pauvreté.
Les participantes de l’étude ont ajouté avoir besoin de faire appel aux banques alimentaires, à des services de logement ou à des soins de santé abordables. Les femmes ont fréquemment mentionné que les services de répit étaient nécessaires, bien que très peu accessibles. Le manque d’accès à l’information concernant ces services a aussi été mentionné à quelques reprises.
La santé mentale
Les mères étudiantes en FGA semblent être dans une situation particulièrement précaire par rapport à leurs besoins sur le plan de la santé mentale. Fatigue, besoin de repos et stress sont des termes récurrents lorsqu’elles parlent de santé. Leurs besoins liés à la santé mentale sont de même nature que ceux des mères étudiantes du collégial ou du premier cycle universitaire. Cependant, nos données laissent penser que les besoins des mères étudiantes du CÉA sont plus intenses (nombre et force) que ceux de leurs collègues plus scolarisées.
Les enfants
Pour ces femmes, le temps passé par leur(s) enfant(s) à la garderie ou à l’école pendant le jour ne suffit pas pour libérer du temps dédié à la réalisation des tâches. Elles mentionnent leur besoin d’accès à des services de loisirs ou de répits gratuits pour leur enfant un soir de semaine ou la fin de semaine, et ce, à toutes les saisons.
Les exigences scolaires
Afin de répondre aux exigences scolaires, les mères étudiantes en FGA ont mentionné leurs besoins de services d’aide à l’apprentissage, particulièrement en orthopédagogie. Le CÉA où ces participantes étudient offre ce type de service. Cependant, elles évoquent de longues listes d’attente pour y accéder.
De plus, il faut mentionner que la contrainte des travaux d’équipe n’a pas été mentionnée par les participantes de la FGA où l’enseignement modulaire individualisé est une formule pédagogique centrale. Si cette formule semble favorable à l’AEFE (Mercier et Longo, 2017) parce qu’elle permet à chaque apprenante de faire son module à son rythme, elle contraint significativement l’apprentissage dès que la personne enseignante dispose de peu de temps pour donner l’aide individualisée.
Les besoins pendant la pandémie
La pandémie de COVID-19 a joué significativement sur les possibilités de l’AEFE des participantes, particulièrement dans les débuts où beaucoup de changements, à commencer par la participation aux cours en ligne, ont été apportés. Pour certaines, ces changements ont facilité l’articulation des études avec la vie familiale. La réduction du temps et du cout des déplacements a permis d’économiser de l’argent et d’être plus disponible à la maison : « Ça a été assez, quand même, léger, je dirais, cette partie-là parce que les professeurs, ça a été un peu, comme, on s’adapte. Puis ils ont réduit la charge de travail donc ça s’est bien passé. »
Le propos des participantes montre malgré tout que leur situation s’est dégradée à la session d’automne, lors de la seconde vague de la pandémie, lorsque les garderies, les écoles primaires et secondaires ont aussi dû fermer. Ainsi, les enfants étaient constamment à la maison. Une participante mentionne : « C’est vraiment difficile, tu sais, faire des cours à distance quand t’as pas de gardienne. […] Je suis comme pas capable d’entertainer mon enfant en même temps que de faire mes travaux. Fait qu’il y en a un des deux qui écope, tu sais. »
Une autre mère monoparentale, quant à elle, devait garder son enfant en bas âge à la maison au début de la pandémie à cause de la fermeture de la garderie du cégep. La poursuite des études s’est complexifiée. De plus, sa fille vivait difficilement l’interruption de fréquentation de la garderie. Une autre mère a dû interrompre son stage pendant quelques jours et passer un test de dépistage de COVID-19 avec son enfant qui présentait des symptômes de la maladie. Elle allait devoir reprendre les jours de formation manqués.
Pour les mères monoparentales participantes de la FGA, l’école à la maison se complique beaucoup dans l’apprentissage des modules. Il devenait très difficile de recevoir de l’aide de la personne enseignante ou de faire valider les apprentissages au moyen d’examens. Les participantes avaient l’impression « d’en perdre [plus] que d’en apprendre », comme le dit l’une d’elles.
La pandémie de COVID-19 a aussi précarisé le réseau familial ou amical de soutien, rendant presque impossible de faire appel à celui-ci lors des confinements en raison des consignes de distanciation physique.
La pandémie a non seulement précarisé les études en cours des mères étudiantes, mais aussi dans leur avenir. Elle a instauré un haut degré d’incertitude et d’insécurité par rapport aux possibilités d’articulation, notamment quant aux nouvelles formules d’enseignement, aux mesures sanitaires et à la scolarisation des enfants à la maison.
LES STRATÉGIES INSTITUTIONNELLES
Nos sources d’information sur les stratégies institutionnelles de l’AEFE montrent la grande diversité de celles-ci. Nous avons tout de même observé une spécificité des stratégies mises en œuvre par le centre d’éducation des adultes et des similitudes entre celles du cégep et de l’université qui ont participé à l’étude.
LE CENTRE D’ÉDUCATION DES ADULTES
Dans le cas du CÉA, l’une des stratégies institutionnelles de l’AEFE mise en place est la stratégie Ma place au soleil. Celle-ci offre également de l’orientation scolaire et professionnelle et de l’accompagnement psychosocial à ces parents étudiants, en plus du soutien financier venant avec la stratégie. Le CÉA a aussi un partenariat établi avec un centre de la petite enfance (CPE) et offre un service de garde réservé exclusivement aux parents étudiants.
De plus, avec l’aide d’une subvention du ministère de la Famille visant l’élaboration de politiques de l’AEFE, le CÉA a pu consulter les parents étudiants pour ensuite mettre sur pied sa propre politique en tenant compte de leurs besoins. La première stratégie de cette politique est la reconnaissance du statut de parent étudiant dans le but de favoriser la transmission des informations et des services pouvant les concerner.
Quelques autres stratégies avaient déjà été implantées au moment de l’enquête de terrain, tandis que d’autres avaient été mises sur la glace à cause de la pandémie de COVID-19. Il est à noter que ni le cégep ni l’université ayant participé à l’étude n’avaient une telle politique au moment de l’enquête.
LE CÉGEP
Dans le cas du cégep, bien qu’il n’existe pas de politique visant les parents étudiants en particulier, le soutien de cette population par rapport à l’AEFE est l’une des stratégies à déployer pour atteindre l’objectif de réduction des obstacles à la réussite scolaire. Toutefois, plusieurs des stratégies mises de l’avant semblent être de l’ordre de l’expérimentation ou de l’essai et dépendent largement de l’initiative individuelle de la personne responsable de ces stratégies.
Le cégep emploie une formule d’intervention par les pairs selon laquelle des personnes étudiantes sont recrutées pour offrir du soutien aux parents étudiants en fonction des besoins exprimés. Le cégep offre également un service de garde en CPE et quelques stratégies de dépannage financier.
L’UNIVERSITÉ
Quant aux services offerts par l’université, ils sont presque tous sous la responsabilité des services à la vie étudiante. L’université offre plusieurs services de garde en CPE, dont un a été créé par et pour les personnes étudiantes de l’université.
Les autres services sont offerts par le comité indépendant de soutien aux parents étudiants. Ce comité défend les droits et les intérêts des parents étudiants au sein de l’université. Ici aussi, les services dépendent beaucoup de l’initiative de la personne responsable des stratégies de l’AEFE au sein de l’université. Cette personne travaille de concert avec le comité de soutien aux parents étudiants.
LES DÉFIS POUR JOINDRE LES PARENTS ÉTUDIANTS
Les défis pour joindre les parents étudiants sont grands, peu importe le moyen par lequel l’organisation scolaire s’y prend. L’information diffusée les interpelle peu, déclare une responsable : « L’info, elle est partout, mais personne ne sait rien. »
Selon les responsables de l’AEFE au cégep et à l’université, leurs organisations respectives devraient se doter d’un registre des parents étudiants. Cela permettrait d’entrer directement en communication avec eux pour leur faire connaitre les services qui les concernent.
« Il faut absolument savoir c’est qui [les parents étudiants] pour pouvoir leur adresser de l’information. »
L’établissement d’une politique d’AEFE est considéré comme un moyen de reconnaitre les parents étudiants et leurs besoins spécifiques. Une telle politique permettrait de partager la responsabilité de la réponse aux besoins dans l’ensemble de l’organisation.
LES STRATÉGIES PENDANT LA PANDÉMIE
Pour conclure sur le sujet, les stratégies institutionnelles de l’AEFE des trois organisations (CÉA, cégep, université) ont été déstabilisées dès le début de la pandémie de COVID-19 au Québec. Au moment où nous avons rencontré les personnes responsables de l’AEFE au printemps (CÉA, université) et à l’automne 2020 (cégep), ces trois organisations déployaient leurs stratégies à distance sans être en mesure d’en évaluer leur efficacité.
RECOMMANDATIONS
Les recommandations formulées au terme de notre étude concernent l’AEFE des parents étudiants au cégep, à l’université ou à la formation générale des adultes. En ce sens, ces recommandations incluent les mères étudiantes.
Pour les parents étudiants dont le parcours d’études est atypique, c’est-à-dire qui ne suit pas un régime d’études à temps plein du début à la fin de la participation à un même programme, il existe de nombreux enjeux d’équité pour favoriser la persévérance, l’accès aux études et la réussite d’un projet de formation. Il importe donc que les mesures d’AEFE créées et mises en place portent sur les besoins réels des parents étudiants et répondent à la diversité de leur situation et de leurs besoins qui changent au fil du temps.
e plus, dans le même ordre d’idée que les auteurs et autrices de certains travaux que nous avons recensés (Coalition pour la conciliation famille-travail-études, 2016; Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail et al., 2004; Corbeil et al., 2011), nous souhaitons rappeler qu’une manière appropriée de répondre à la diversité des besoins serait d’établir, que ce soit à l’échelle de l’État, à celle des organisations scolaires ou à celle des entreprises employeuses, des mesures de l’AEFE découlant d’une analyse différenciée des besoins selon les sexes.
LES RECOMMANDATIONS POUR L’ÉTAT
La présente recherche formule une série de recommandations destinées à l’État québécois et à ses ministères. Elles touchent une loi-cadre en matière d’AEFE et l’aide financière aux études.
Une loi-cadre pour l’AEFE
Étant donné que les mesures de l’AEFE s’additionnent sans grande cohérence ni vision d’ensemble, il serait nécessaire que l’État instaure une loi-cadre visant à promouvoir et à soutenir l’AEFE. Par cette loi-cadre, l’État s’engagerait à encourager et à soutenir l’AEFE de sorte à réduire la disparité des stratégies mises en place d’un milieu à l’autre. Une campagne de sensibilisation devrait accompagner cette loi-cadre.
Une loi-cadre est d’autant plus d’actualité que la pandémie de COVID-19 a modifié les lieux, les temps et les pratiques où les études, la vie domestique et la vie professionnelle s’expriment. Là où ces lieux, temps et pratiques étaient séparés, leurs frontières se sont estompées pendant la pandémie, intensifiant immédiatement les besoins sur le plan de l’AEFE.
L’aide financière aux études
L’aide financière aux études accordée doit correspondre aux couts associés aux études, mais également au soutien familial. Aussi, il faudrait bonifier les montants versés aux parents étudiants afin de leur permettre de vivre décemment.
D’autres sources de financement gagneraient à être bonifiées. On pense aux bourses d’excellence dont l’accès pourrait être facilité. Les formulaires de demande devraient prévoir un espace permettant aux parents étudiants de s’identifier comme tels.
LES RECOMMANDATIONS POUR LES ORGANISMES SCOLAIRES
Une réponse des organisations scolaires qui se veut cohérente et qui se donne une vue d’ensemble des besoins des parents étudiants devrait passer par la création d’une politique organisationnelle de l’AEFE.
Pour modifier les pratiques à l’égard de l’AEFE, il apparait essentiel que les organisations scolaires se dotent d’une telle politique. Celle-ci devrait inclure la création d’un comité responsable de l’implantation des stratégies et de l’analyse des besoins d’AEFE chez les parents étudiants.
La présente recherche et les travaux recensés suggèrent que cette politique se déploie en divers volets, portant sur plusieurs aspects : l’accès à l’information et la communication avec les parents étudiants, la création de services de garde et de services de halte-garderie, la diversification des horaires de cours et des formules pédagogiques et la formation du personnel enseignant sur les réalités des parents étudiants.
L’accès à l’information et la communication avec les parents étudiants
Il est difficile pour les organisations scolaires de communiquer avec les parents étudiants. Il s’agit de catégories d’étudiantes et d’étudiants qui ont peu accès à l’information associée à l’AEFE dans leur organisation scolaire, rendant difficile l’accès aux services qu’elle offre.
Il serait donc souhaitable que les organisations scolaires tiennent un registre des parents étudiants et reconnaissent officiellement leur statut, de la même façon qu’elles le font déjà pour certaines catégories de personnes étudiantes. Ce registre faciliterait la communication avec ce groupe spécifique et la diffusion des informations et des services touchant l’AEFE.
Le renforcement des services de garde
Il faut renforcer et améliorer l’accessibilité aux services de garde, principalement dans les établissements scolaires. De plus, un nombre suffisant de places doivent être réservées aux enfants de parents étudiants dans les garderies sur les campus d’établissements scolaires.
Les horaires des services de garde doivent être souples et s’adapter aux horaires atypiques des parents étudiants. Il est souhaitable de favoriser la cohabitation entre les services de garde et ceux de haltes-garderies, ces dernières pouvant prendre en charge les enfants ponctuellement.
La diversification du régime d’études
La diversification du régime d’études peut faciliter l’AEFE des parents étudiants. Cette diversification facilite le choix d’un régime d’études ou d’un horaire adapté à leurs horaires atypiques. Il importe donc que les organisations scolaires diversifient les horaires et offrent des cours de jour, de soir, de fin de semaine ou encore en horaire intensif pour le plus grand nombre de programmes de formation possible.
L’enseignement à distance
L’augmentation de l’offre de cours à distance aiderait les parents étudiants à réduire leur temps de déplacement et à adapter leur horaire d’étude à leurs contraintes individuelles.
Il faudrait que les structures organisationnelles d’enseignement à distance (cégep à distance, TÉLUQ et SOFAD) bonifient la concertation avec les organisations scolaires pour favoriser les solutions de remplacement à l’enseignement exclusivement en présence.
La formation du personnel enseignant
Il importe de sensibiliser et de mobiliser le personnel enseignant par rapport aux besoins spécifiques des parents étudiants. Les organisations scolaires pourraient informer et former le personnel enseignant au sujet des réalités des parents étudiants et de la spécificité de leurs besoins concernant l’AEFE.
LES RECOMMANDATIONS POUR LES ENTREPRISES EMPLOYEUSES
Pour les parents étudiants, il importe que les entreprises employeuses offrent à la fois une flexibilité et une stabilité d’horaire, en plus d’offrir la possibilité de s’absenter lorsqu’un imprévu d’ordre familial survient.
Le gouvernement devrait mettre en place des stratégies de travail qui faciliteraient l’AEFE et qui seraient inscrites dans la loi sur les normes du travail, dont la réduction du temps de travail, l’autorisation de faire du télétravail, la semaine de quatre jours sans perte de salaire, l’utilisation de banques d’heures accumulées, les congés payés pour des obligations familiales, les congés sans solde ou autofinancés, l’affichage de l’horaire de travail au moins une semaine à l’avance et le droit de refuser les heures supplémentaires.
Les entreprises employeuses et les personnes employées doivent réfléchir ensemble sur les moyens de tenir compte des nouveaux besoins en matière d’AEFE.
Enfin, l’État doit accorder une attention particulière au soutien offert aux petites et moyennes entreprises (PME) afin qu’elles répondent aux besoins des personnes employées à l’égard de l’AEFE et restent compétitives par rapport aux grandes entreprises ou aux secteurs publics et parapublics.
CONCLUSION
Si l’AEFE concerne l’équilibre entre les exigences et les responsabilités relevant de sphères de vie différentes, c’est au moins partiellement parce que des sphères d’activité sont vécues (mais aussi étudiées et représentées) comme distinctes les unes des autres, comme si elles étaient séparées par des frontières imperméables. L’équilibre est recherché par la répartition des lieux et des temps (entre autres la durée) qu’il est possible de consacrer à l’une ou l’autre des sphères.
Cependant, les frontières entre les sphères de vie semblent de moins en moins nettes et de plus en plus interpénétrées. L’arrivée des technologies de l’information et de la communication a, en effet, contribué au brouillage de ces frontières. La vie familiale ou personnelle peut désormais s’exprimer à l’école ou sur les lieux de l’emploi. Depuis un moment déjà, le télétravail a permis à plusieurs d’occuper leur emploi à la maison, en tout ou en partie.
La pandémie de COVID-19 a amplifié l’interpénétration des sphères de vie. Du jour au lendemain, des milliers de personnes étudiantes ont poursuivi leurs études ou continué leur emploi à la maison. Par conséquent, les lieux et le temps qui étaient réservés à la vie domestique devaient s’articuler avec la vie scolaire, voire avec l’emploi, sans séparation nette entre les lieux et le temps dédiés à chaque sphère. Pour les parents étudiants, cette nouvelle réalité est devenue un véritable casse-tête.
Alors que notre étude a été pensée à partir d’outils conceptuels qui représentent l’articulation de sphères de vie relativement distinctes, notre enquête de terrain a été conduite dans un contexte pandémique où ces sphères étaient presque totalement imbriquées chez les mères étudiantes que nous avons rencontrées. En outre, cette étude interpelle la communauté de recherche et les personnes actrices ou décideuses à réviser, tant sur le plan de la recherche que sur le plan des actions à mener, les manières de penser l’AEFE et les outils pour la saisir.
À cause du monde changeant dans lequel nous vivons, cette étude est aussi une invitation à continuellement examiner comment l’AEFE se manifeste et se transforme au fil du temps dans tous les segments de la population.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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