Motiver les personnes incarcérées à s’instruire – Une étude de cas des efforts déployés à Nagpur, en Inde

Édition spéciale d’Apprendre + Agir

Sivaswaroop Pathaneni

Résumé

La plupart des personnes incarcérées passent leurs journées à charrier un sentiment de chagrin ou de regret. Pour les motiver à participer à des programmes éducatifs, une planification minutieuse et divers moyens sont nécessaires, tout en respectant les règlements de l’administration carcérale. L’auteur a déployé des efforts pendant plus d’une décennie à la prison centrale de Nagpur pour y offrir des cours de l’Université nationale ouverte Indira Gandhi (Indira Gandhi National Open University). Cet article décrit les efforts qui ont conduit à l’inscription cumulée de plus de 1000 personnes incarcérées.

Mots clés : personnes incarcérées, motivation, éducation, Nagpur, Inde


Introduction

Mahatma Gandhi a un jour déclaré :

Tous les criminels devraient être traités comme des patients et les prisons devraient être des hôpitaux offrant traitement et guérison à ces patients. Personne ne commet un crime pour le plaisir. C’est le signe d’un esprit malade. Les causes de leurs maladies doivent être identifiées et éliminées […] L’attitude du personnel pénitentiaire envers les personnes incarcérées doit être semblable à celle de médecins et infirmières envers des patients (Shriman, 1968).

Les paroles de Mahatma Gandhi illustrent l’ancienne tradition indienne pour le traitement des personnes incarcérées.

Le système carcéral indien existe depuis environ 4000 ans. L’incarcération était la forme de punition la plus modérée ; d’autres peines plus graves comprenaient le marquage au fer, la mutilation, la mort, etc. (Meena, 2021 : 299). Kautilya a écrit l’Arthashastra au IIe siècle av. J.-C., un ouvrage qui fournit beaucoup de détails sur la gestion traditionnelle des prisons en Inde (Shamasastry, 1915). Les personnes dans le besoin, comme celles souffrant de la faim, de maladies ou d’extrême pauvreté, bénéficiaient d’une certaine clémence lors de la détermination de leur peine (Sharma, 2024). L’emprisonnement n’était pas considéré comme une forme de punition. La détention à long terme était considérée comme un moyen d’« améliorer » les criminels en leur donnant l’opportunité de faire un travail d’introspection et de se repentir.

L’emprisonnement comme forme de punition est apparu avec les Britanniques au XVIIIe siècle (Meena, 2021 : 301). Ce n’est que récemment que l’idée de rétribution a été remplacée par celle de réhabilitation. Pour la réhabilitation des personnes incarcérées, l’éducation est un facteur important. Contrairement à l’ancienne conception selon laquelle il fallait isoler les délinquant·es du monde extérieur, on privilégie désormais de meilleures connexions entre les détenu·es et la société. Cependant, les règlements, le contrôle et la discipline sont la marque de fabrique d’une prison ; les personnes incarcérées sont encadrées par des structures administratives rigides et confinées entre quatre murs. Dans un tel environnement, il est nécessaire de recourir à des moyens innovants pour motiver les personnes incarcérées à s’éduquer et à préparer leur réinsertion sociale. Cet article présente certaines de ces initiatives innovantes menées à la prison centrale de Nagpur, en Inde. Il vise également à décrire diverses activités académiques entreprises pour renforcer les liens entre les personnes incarcérées et le monde extérieur.

Contexte

Aujourd’hui, environ 11 millions de personnes sont incarcérées dans le monde et ce nombre ne cesse d’augmenter chaque année. Au cours des 20 dernières années, le nombre de femmes détenues a augmenté de 30 %, tandis que celui des hommes a connu une hausse de 22 % (Berglund et al., 2025 : 2). En Inde, on comptait 573 220 personnes incarcérées dans 1 330 prisons à la fin de l’année 2022. Parmi elles, 23 772 étaient des femmes et 97 étaient des personnes transgenres. Les prisons pour hommes sont généralement surpeuplées, alors que 60,1 % des places dans les prisons pour femmes étaient occupées (Prison Statistics of India, 2022 : 12).

L’incarcération d’une personne représente un coût important pour la société. Par exemple, Jeanne Hirschberger (2020) a rapporté que le coût de l’emprisonnement aux États-Unis s’élevait à 182 milliards de dollars américains. En Inde, le système carcéral s’est vu allouer 87,25 milliards de roupies pour l’année 2022-231, soit 14,5 % de plus que l’année précédente (Prison Statistics of India, 2022 : 267). Compte tenu de ces coûts, la réduction de la récidive et de la réincarcération peut générer des bénéfices économiques, sociaux et humanitaires. Les recherches montrent que l’éducation des personnes incarcérées contribue à diminuer la récidive. Wilson et al. (2000) ont notamment rapporté que les participant·es à des programmes éducatifs récidivent à un taux inférieur à celui des non-participant·es. Berglund et ses collègues ont également démontré (2025) que l’éducation en prison réduit la stigmatisation sociale et l’autostigmatisation. Elle favorise le changement social ainsi que l’augmentation des opportunités de bénéfices sociaux, d’autodétermination, de maîtrise de soi et d’estime de soi (Berglund et al., 2025 : 7).

Cependant, l’éducation est une activité volontaire, ce qui signifie que les personnes doivent être prêtes à s’instruire elles-mêmes. L’éducation est également une question d’inclusion. L’emprisonnement, en revanche, s’accompagne d’exclusions : de la famille, des ami·es, de la communauté et de la société. Ces exclusions conduisent les personnes incarcérées à mener une vie terne, marquée par le chagrin ou le regret. Dans ce contexte, on ne peut pas s’attendre à ce que les personnes incarcérées se sentent facilement incluses. Il est donc peu probable qu’elles entreprennent spontanément une démarche volontaire pour s’éduquer et progresser sans difficulté. Une série d’activités devrait ainsi être mise en place pour les motiver et les soutenir tout au long de leur parcours éducatif.

Cet article présente certaines activités menées par le Centre régional de Nagpur de l’Université nationale ouverte Indira Gandhi (IGNOU) à la prison centrale de Nagpur, qui ont qui ont permis d’inscrire plus d’un millier de personnes incarcérées à divers programmes éducatifs. Parmi ses recommandations en matière d’éducation en prison, l’UNESCO (2021) souligne qu’un programme d’études holistique est nécessaire afin de répondre aux besoins sociaux, physiques et culturels des personnes incarcérées, incluant notamment des activités créatives et culturelles (p. 90). Pour naviguer entre la dichotomie de l’éducation inclusive et de la prison exclusive, il faut créer un espace où les personnes incarcérées peuvent s’engager activement dans l’apprentissage. La prison centrale de Nagpur a su mettre en place de tels espaces à travers diverses activités académiques et créatives. Encourager les personnes incarcérées à participer à diverses activités, comme toute autre personne apprenante, peut briser le sentiment d’isolement social et la peur d’être étiquetées après leur libération — un sentiment souvent ressenti (UNESCO, 2021 : 9).

En Inde, les universités et les collèges organisent diverses compétitions (jeu-questionnaire, concours de débat et concours de rédaction d’essais) lors de la Journée nationale des sciences, de la Journée de la Constitution, etc. De telles compétitions sont désormais également proposées aux étudiant·es incarcéré·es. Certains concours sont même organisés conjointement pour les étudiant·es civil·es et les étudiant·es incarcéré·es, comme des concours d’essais sur un thème commun, pour lesquels les deux groupes font l’objet de la même évaluation. Comme nous le verrons plus en détail, ces activités offrent aux personnes incarcérées un cadre structurant et motivant, et les encouragent à poursuivre leurs études.

IGNOU et la prison centrale de Nagpur

L’Université nationale ouverte Indira Gandhi (IGNOU) est une université nationale créée par une loi du Parlement indien en 1985. Aujourd’hui, elle est la plus grande université ouverte au monde, comptant plus de trois millions d’apprenant·es à travers le globe, et détenant la plus haute accréditation (A++) du National Assessment and Accreditation Council (NAAC). Afin d’offrir une éducation efficace et de qualité par l’apprentissage ouvert et à distance à une grande diversité d’étudiant·es dans tout le pays, l’IGNOU dispose d’une structure à trois niveaux : siège social (HQ) à New Delhi, 57 centres régionaux (RC) situés dans les principales villes du pays, et 2257 centres de soutien aux apprenant·es (LSC) dans les villes et villages. L’IGNOU compte également 25 centres à l’étranger.

Le processus d’admission se fait en ligne et, selon le choix de l’étudiant·e, le matériel d’étude est envoyé par la poste à son domicile ou mis à sa disposition sous format numérique. Des séances de counseling ont lieu dans les LSC, où les étudiant·es soumettent également leurs travaux. Les examens finaux se tiennent dans certains centres d’examen à la fin de chaque semestre (juin et décembre). Chaque étudiant·e bénéficie d’une grande flexibilité pour terminer le programme dans lequel il ou elle est inscrit·e. Par exemple, un diplôme d’un an peut être complété en quatre ans. À tout moment de son parcours, si un·e étudiant·e déménage, son centre d’études officiel peut être transféré vers celui de son nouveau lieu de résidence, ce qui lui permet de poursuivre ses études sans interruption.

Le Centre régional de Nagpur (NRC) est l’un des 57 centres régionaux de l’IGNOU. Il est situé à Nagpur, au centre de l’Inde, et dessert 14 districts de l’État du Maharashtra. Le NRC met l’accent sur « l’atteinte des couches non atteintes » de la société, notamment les zones forestières, comme le district de Gadchiroli, afin de diffuser l’enseignement supérieur par l’apprentissage à distance. Il s’adresse aussi aux travailleuses du sexe, aux personnes transgenres, aux jeunes de milieux ruraux et aux personnes incarcérées. Les personnes incarcérées font partie des groupes les plus marginalisés de la société indienne. Selon les statistiques carcérales de l’Inde, en 2022, 65,4 % des personnes incarcérées étaient soit analphabètes, soit en dessous d’un niveau scolaire correspondant à celui de la 10e année (p. 61). Par conséquent, la NRC déploie des efforts particuliers pour inscrire ces personnes à des programmes éducatifs.

En 2010, un Centre d’études spécial (SSC) a été établi à la prison centrale de Nagpur. Depuis, diverses activités y ont été mises en place pour motiver les personnes incarcérées à étudier via l’IGNOU. L’IGNOU propose des cours à distance aux personnes incarcérées, tandis que le SSC leur offre l’accès aux services universitaires. Cependant, ces services ne sont réellement utiles que si les personnes incarcérées manifestent un intérêt pour les études et sont motivées à apprendre par elles-mêmes. Or, la prison n’est pas un environnement qui motive. Pour stimuler l’engagement éducatif des personnes incarcérées, il est essentiel d’offrir des activités qui ne sont habituellement pas disponibles en milieu carcéral.

Les activités innovantes de l’IGNOU

Pour répondre à ce besoin et encourager les personnes incarcérées à poursuivre des études, l’IGNOU a mis en place 18 activités, politiques ou programmes innovants. Cette section en présente un aperçu.

Éducation gratuite

L’IGNOU offre une éducation gratuite aux personnes incarcérées sur l’ensemble du territoire indien. Cette gratuité couvre les frais d’inscription, d’admission et d’examen, en plus de ceux liés à la remise des diplômes. Par ce geste social, l’IGNOU cherche à stimuler l’intérêt pour les études en milieu carcéral. Cette démarche a porté ses fruits : en 2019, un total de 20 219 personnes incarcérées ont choisi de s’inscrire à l’IGNOU dans tout le pays (Singh, 2025 : 57).

Séances de sensibilisation

Les personnes incarcérées doivent être informées qu’elles ont la possibilité d’étudier au sein même de la prison. En collaboration avec l’administration carcérale, des séances de sensibilisation appelées GYAN GANGA sont organisées régulièrement, notamment à l’approche des périodes d’admission. Les autorités carcérales informent alors les personnes incarcérées que des représentant·es de l’IGNOU viendront les rencontrer, et toute personne désirant en apprendre davantage sur l’IGNOU est invitée à assister à ces séances. Le jour de la réunion, les personnes incarcérées se rassemblent au Shiksha Bhavan (bâtiment de l’éducation), où nous leur expliquons que leur temps libre en prison peut être utilisé de manière constructive et bénéfique pour leur avenir. Elles peuvent étudier en prison; le matériel nécessaire leur est fourni. Nous leur faisons également part du fait que l’IGNOU offre une éducation gratuite aux personnes incarcérées, ce qui signifie qu’elles n’ont pas à se soucier des coûts. Les examens auront lieu au sein même de la prison. Nous présentons ensuite les différents programmes proposés par l’IGNOU et expliquons pourquoi nous ne pouvons pas leur offrir des cours comportant une dimension pratique. Nous les informons qu’il existe des laboratoires dans les universités et collèges locaux. Cependant, les permissions de sortie sont rarement accordées aux personnes incarcérées, ce qui limite leur accès à ces installations. Elles peuvent choisir des diplômes fondés sur des contenus théoriques. Le niveau d’études (baccalauréat, maîtrise, etc.) dépendra de leur formation antérieure.

Au cours de l’une de ces rencontres, un incident touchant s’est produit. En assistant à la réunion, un prisonnier est devenu émotif et des larmes ont coulé sur ses joues. Un administrateur de prison et moi-même l’avons alors réconforté. Après la séance, j’ai demandé à l’administrateur se lui savait pourquoi le prisonnier avait été submergé par l’émotion. Il m’a raconté que le détenu avait un jeune garçon qui avait demandé à sa mère si son père était une bonne personne et pourquoi il était en prison. Pour le consoler, sa mère lui avait répondu que son père était parti étudier et qu’il reviendrait une fois ses études terminées. L’administrateur a ajouté que ce prisonnier sentait maintenant que terminer ses études était devenu une obligation morale, et qu’il était profondément touché par l’opportunité offerte par l’IGNOU de la réaliser.

Programme spécial pour les décrocheur·euses du secondaire

Dans le monde, le niveau d’éducation de nombreuses personnes incarcérées est inférieur à celui d’élèves de dixième année. Pour remédier à cette situation, l’IGNOU a mis en place le Programme préparatoire au baccalauréat (BPP), qui est une voie d’accès non formelle aux études de premier cycle. Aucune qualification formelle n’est requise pour intégrer le BPP ; les candidat·es doivent avoir au moins 18 ans. Ce programme s’avère particulièrement utile pour les personnes incarcérées qui ont quitté l’école prématurément et qui souhaitent accéder à l’enseignement supérieur. Comme les femmes en Inde sont plus touchées par le décrochage scolaire, des séances de sensibilisation spécifiques sont organisées à leur intention, réunissant des détenues qui pourraient bénéficier du BPP. Des professeur·es sont également disponibles pour les accompagner et les orienter.

Camps d’admission spéciale

Pendant la période d’admission, des camps spéciaux sont organisés dans les prisons. Des séances de counseling en groupe et individuel sont proposées aux personnes incarcérées pour leur recommander des programmes adaptés à leurs préférences et à leur situation. Les personnes incarcérées qui ont une copie de leurs certificats peuvent procéder à l’admission immédiatement. Dans le cas contraire, elles peuvent les recevoir par la poste ou les récupérer lorsque leur famille leur rend visite. Elles pourront ensuite s’inscrire au prochain semestre.

Séances d’orientation

Une fois le processus d’admission terminé, les étudiant·es reçoivent leur carte d’identité et leurs documents d’étude par la poste. La séance d’orientation constitue leur premier contact officiel avec l’université. L’objectif de cette rencontre est de présenter l’IGNOU aux étudiant·es. Des spécialistes présentent ses particularités, sa méthode d’enseignement, son système d’évaluation (qui comprend à la fois une évaluation continue et une évaluation de fin de trimestre), ainsi que les avantages offerts par l’université, les responsabilités qui incombent à chaque apprenant·e, etc. Parfois, des étudiant·es incarcérés qui ont déjà suivi des cours à l’IGNOU sont aussi invité·es à partager leur expérience.

Coaching à l’examen d’entrée du MBA (OPENMAT)

Certaines personnes incarcérées souhaitent intégrer le programme de MBA proposé par l’IGNOU. Au départ, l’admission était réservée à des candidat·es répondant à des critères stricts : détenir un diplôme de premier cycle, avoir au moins trois ans d’expérience en supervision ou en gestion, et avoir réussi l’examen d’entrée national, connu sous le nom de OPENMAT. Cependant, les personnes incarcérées avaient souvent peu d’expérience professionnelle, ce qui les rendait rarement éligibles.

Depuis, l’université a réduit les critères d’admission en exigeant uniquement un diplôme de premier cycle et l’OPENMAT. Toutefois, l’examen d’entrée demeure très difficile. Pour aider les personnes incarcérées à se préparer pour l’examen et pour susciter leur intérêt pour le MBA, nous avons décidé d’offrir des séances de coaching gratuites. Des conseillers et conseillères universitaires se portent volontaires pour accompagner les personnes incarcérées et leur fournir du matériel de préparation pour l’examen. Ils et elles se déplacent directement dans les prisons pour offrir ces services. En 2017, sur les onze personnes incarcérées qui ont tenté l’examen d’admission au MBA, neuf ont été admises ! C’est un succès remarquable que nous avons célébré avec elles. Elles ont ensuite été admises au programme de MBA.

Conseil académique2 médiatisé via Gyanavani FM Radio

Le conseil académique des étudiant·es de l’IGNOU se tient dans les centres d’études, généralement les fins de semaine. En raison des contraintes propres au milieu carcéral, il peut être difficile d’organiser des séances de ce conseil. Nous avons toutefois trouvé une alternative ingénieuse grâce à la radio FM de l’IGNOU. Les autorités carcérales ont eu la gentillesse de fournir la radio FM aux étudiant·es incarcéré·es (séparément pour les hommes et les femmes). Pour favoriser l’interactivité, une forme innovante et médiatisée de conseil académique a été adoptée.

Lors des réunions en présentiel, les étudiant·es peuvent poser directement des questions à l’enseignant·e, qui y répond immédiatement. Dans le cas d’un conseil académique diffusé à la radio, l’enseignant·e se trouve dans un studio de la station de radio, tandis que les étudiant·es peuvent appeler pour poser leurs questions en direct. Cependant, les personnes incarcérées n’ayant pas d’accès direct au téléphone, elles ne peuvent pas interagir avec l’enseignant·e de cette manière. Au lieu de cela, les étudiant·es incarcéré·es rédigent leurs questions sur une feuille de papier qu’ils remettent à un·e coordonnateur·trice de l’IGNOU, qui est un·e membre de l’administration carcérale chargé·e de coordonner les activités universitaires dans la prison. Cette personne se rend ensuite au bureau administratif, appelle le studio de radio et lit les questions des étudiant·es incarcéré·es à l’enseignant·e, dont les réponses sont diffusées à la radio et entendues par les étudiant·es depuis leur établissement. Ce type de conseil académique est accessible aux étudiant·es incarcéré·es comme à ceux et celles qui ne le sont pas. Il est similaire au programme Inside-Out (UNESCO : 16), dans lequel des étudiant·es universitaires visitent les prisons pour apprendre aux côtés de leurs pairs incarcérés. Cette approche crée des occasions d’apprentissage mutuel : apprendre de l’autre et avec l’autre. À Nagpur, ces interactions entre étudiant·es incarcéré·es et étudiant·es libres se font grâce à la technologie. Plus de détails à ce sujet sont présentés dans des travaux antérieurs (voir Pathaneni, 2020).

Sessions d’examens

L’IGNOU organise deux fois par an les examens de fin de trimestre, en juin et en décembre. Pour les étudiant·es incarcéré·es, les examens se déroulent au Centre d’études de la prison en même temps que ceux qui ont lieu à l’extérieur de la prison. Des observateurs·trices externes3 (universitaires chevronné·es) sont nommé·es, comme dans tout autre centre d’examen. Les étudiant·es incarcéré·es sont toujours informé·es que, une fois libéré·es et confronté·es à une entrevue d’embauche, ils ou elles seront évalué·es sur leurs connaissances de la matière. Ainsi, ils et elles sont encouragé·es à bien se préparer pour leurs examens. Il est très gratifiant de constater qu’ils et elles suivent ce conseil et se présentent généralement à leurs examens bien préparé·es. L’IGNOU offre une grande flexibilité pour terminer un programme. Un diplôme d’un an peut être complété en quatre ans, ce qui permet de se présenter aux examens seulement lorsqu’on se sent prêt ou prête.

Participation à la cérémonie de remise des diplômes

L’IGNOU organise une cérémonie de remise des diplômes pour décerner des certificats aux diplômé·es. Le Centre régional de Nagpur demande aux autorités supérieures de la prison de lui permettre d’envoyer les personnes détenues qui ont terminé leur diplôme de premier cycle ou de cycles supérieurs à la cérémonie de remise des diplômes qui se tient à Nagpur, dans un lieu public. Parfois, cette autorisation est accordée. Avec leur accord, six personnes incarcérées (dont une femme) ont pu assister en personne à la 26e cérémonie, tenue le 12 avril 2013, dans des conditions strictes de sécurité. Elles ont fièrement reçu leur diplôme sur scène, aux côtés d’autres étudiant·es, rayonnant de confiance en l’avenir et convaincues que cette réussite facilitera leur réinsertion après leur libération. L’événement a attiré l’attention des médias imprimés et électroniques. Il a contribué à améliorer la perception du public envers les personnes incarcérées en mettant en lumière leurs efforts et leur potentiel de réhabilitation.

Remise des diplômes en prison

Malheureusement, les autorités supérieures ne permettent pas toujours aux étudiantes et étudiants incarcérés d’assister à la cérémonie de remise des diplômes à l’extérieur de la prison, car cela nécessite de nombreuses mesures de sécurité. Pour les féliciter et les motiver, leurs diplômes sont distribués à l’intérieur de la prison lors d’un grand rassemblement tenu dans le bâtiment de l’éducation. Les diplômes sont remis par des universitaires chevronné·es de la ville. L’objectif est que les autres personnes incarcérées soient inspirées en voyant leurs pairs recevoir leurs diplômes et qu’elles choisissent à leur tour d’entreprendre ou de reprendre un parcours éducatif.

Journée nationale de la science

En Inde, la Journée nationale de la science est célébrée chaque année le 28 février afin d’encourager la curiosité scientifique des citoyens et des citoyennes, en particulier celle des étudiants et étudiantes. Les étudiant·es incarcéré·es étant également des étudiant·es à part entière, ils et elles devraient aussi pouvoir participer à cet événement. À cette occasion, un jeu-questionnaire scientifique est organisé en collaboration avec le Congrès national indien des sciences à Nagpur. Ce jeu-questionnaire est conçu pour les élèves de 10e année ou de niveau équivalent à ce qui est abordé dans un journal quotidien. Les personnes incarcérées sont informées à l’avance du concours et celles qui souhaitent y participer peuvent s’y inscrire. La première année, trente personnes incarcérées ont pris part au concours. Toutes les personnes participantes ont reçu un certificat et un livre de vulgarisation scientifique lors d’une cérémonie subséquente présidée par le vice-chancelier de l’université locale. Le jeu-questionnaire a été organisé régulièrement les années suivantes autour de thèmes variés. Une année, par exemple, un concours de débat a été organisé sur le thème « La science est-elle une richesse ou un fléau ? ». Les étudiant·es incarcéré·es sont informé·es à l’avance, ce qui leur permet de se préparer adéquatement à la compétition.

Concours national d’affiches

À l’occasion de la Journée nationale de la science, un concours d’affiches est organisé à l’échelle nationale pour tous les étudiant·es de l’IGNOU, à New Delhi. L’information est également transmise aux étudiant·es incarcéré·es, qui sont encouragé·es à y participer. Le ou la coordonnateur·rice de l’IGNOU leur fournit le matériel nécessaire — couleurs, crayons, tableaux, etc. — afin qu’ils et elles puissent réaliser leurs créations. Les soumissions des personnes incarcérées sont ensuite transmises par le Centre régional de Nagpur à New Delhi. Il est particulièrement encourageant de constater que les étudiant·es incarcéré·es de Nagpur ont remporté des prix de consolation lors de ce concours national.

Concours de rédaction d’essais à la veille de la Journée de la Constitution

À la veille de la Journée de la Constitution, le Centre régional de Nagpur organise un concours de rédaction d’essais sur la Constitution indienne pour les étudiant·es de la région. Les étudiant·es incarcéré·es y participent aux côtés des étudiant·es réguliers, et tous et toutes sont évalué·es par des professeur·es d’université. Dans le passé, quelques essais rédigés par des étudiant·es incarcéré·es ont été bien accueillis et ont même remporté des prix. Lors d’un événement tenu dans l’enceinte de la prison, les gagnant·es ont reçu leurs prix et leurs certificats des mains du directeur de la faculté de droit.

Swachh Bharat (Inde propre)

Le gouvernement indien a lancé la mission Swachh Bharat (Inde propre). Elle encourage les citoyen·nes, y compris les étudiantes et étudiants, à participer à diverses activités de nettoyage. Nos étudiant·es incarcéré·es ont pris part à cette initiative, nettoyant leurs locaux et prêtant le serment de Swachh Bharat.

Transfert dans une autre prison ou libération

Si un·e étudiant·e incarcéré·e est transféré·e dans une autre prison (dans le cadre des procédures carcérales), il ou elle a la possibilité de changer de Centre d’études IGNOU pour celui situé dans son nouvel établissement. De plus, si un·e étudiant·e est libéré·e avant d’avoir terminé son programme, il ou elle peut continuer ses études à l’extérieur en tant qu’étudiant·e régulier·ère de l’IGNOU, en conservant le même numéro d’inscription. Cela garantit une expérience d’apprentissage fluide et la possibilité d’obtenir un diplôme ou un certificat sans interruption dans le parcours éducatif.

Sentiment de fierté

Les étudiant·es incarcéré·es de l’IGNOU reçoivent le même matériel d’étude, passent les mêmes examens et obtiennent le même diplôme que les autres étudiant·es de l’université. Par conséquent, ils et elles développent un sentiment de fierté et d’accomplissement personnel, estimant ne pas être inférieurs aux autres étudiant·es.

Couverture médiatique

La plupart des prisons limitent les contacts des personnes incarcérées avec le monde extérieur. L’isolement social est un problème majeur chez celles-ci (UNESCO : 76). Les personnes incarcérées peuvent se sentir exclues de la société et rejetées par elle. Pour atténuer ce sentiment d’exclusion, une stratégie de promotion positive a été mise en place : les médias ont été sollicités pour diffuser des reportages sur les diverses activités académiques menées par les étudiant·es incarcéré·es de l’IGNOU à Nagpur. Les reportages soutiennent ces apprenant·es en donnant de la visibilité à leurs réalisations — remises de diplômes, célébrations de la Journée nationale de la science ou participation à la mission Swachh Bharat, etc. On peut trouver des exemples de cette couverture médiatique dans la section des références (PTI News Agency, 2019; Swarajya, 2019).

Libération anticipée contre réussite académique

Le gouvernement indien accorde une libération anticipée à toute personne incarcérée qui obtient un diplôme de premier cycle ou de cycles supérieurs. Cette mesure constitue un facteur de motivation important pour s’engager dans des études. En 2023, dans neuf prisons de l’État du Maharashtra, 145 personnes incarcérées ont obtenu leur diplôme et ont ainsi pu bénéficier d’une libération anticipée (Nishita, 2023).

Discussion

Les personnes incarcérées sont généralement issues de milieux défavorisés. Même lorsqu’elles sont motivées, elles éprouvent souvent des difficultés à assumer les frais d’études. Grâce à l’IGNOU, les personnes incarcérées peuvent nourrir leur désir d’apprendre, puisque l’université les exonère des frais de scolarité. Cette mesure a entrainé l’inscription de plus de 1000 personnes incarcérées à Nagpur.

Les séances de sensibilisation ont été favorablement accueillies. Au début, elles étaient réservées aux hommes uniquement, jusqu’à ce qu’une sous-directrice adjointe demande qu’elles soient également organisées pour les femmes. Un incident intéressant s’est produit lors de la première séance dans une prison pour femmes. La première rencontre commence généralement par une présentation donnée par un·e expert·e, suivie d’une période de questions-réponses. Pendant celle-ci, une détenue a affirmé qu’elle avait 55 ans et qu’elle pensait être trop âgée pour étudier. Je lui ai expliqué que l’éducation est un apprentissage qui dure toute la vie, en donnant des exemples de personnes qui ont commencé à étudier dans la soixantaine. Inspirée, la détenue a décidé d’essayer de se remettre elle aussi aux études.

Divers concours, comme des jeux-questionnaires, des concours de rédaction d’essais ou des débats, sont organisés pour allumer une étincelle chez les personnes incarcérées et encourager les activités éducatives. Ces événements leur permettent de penser différemment, loin de leur routine quotidienne rigide, et de se tourner vers quelque chose de positif. Comme les séances de sensibilisation, ces concours étaient initialement réservés aux détenus masculins. Ils ont ensuite été ouverts aux détenues, puis à l’ensemble des étudiant·es de la région. Les certificats, tant pour les concours que pour l’obtention de diplômes, sont remis par des universitaires chevronné·es et reconnu·es pour deux raisons. D’une part, les discours de ces expert·es peuvent éveiller l’esprit académique chez les personnes incarcérées. D’autre part, voir leurs pairs monter sur scène pour recevoir un certificat de la part de personnalités respectées peut inspirer les autres à entreprendre leur propre parcours éducatif et, un jour, à monter eux aussi sur scène.

En sanskrit, on trouve un dicton :  Spardhaya Vardhate Vidya, qui signifie « l’apprentissage se développe par la compétition ». Les nombreuses activités de l’IGNOU illustrent cet adage, et ce d’autant plus que le nombre de participant·es ne cesse d’augmenter d’année en année. Permettre aux étudiant·es incarcérés d’apprendre avec et comme les autres étudiant·es motive non seulement ces apprenant·es, mais aussi leurs pairs, à imaginer un avenir meilleur grâce à l’éducation.

Conclusion

Dans cet article, nous avons présenté des activités « hors des sentiers battus » menées à la prison centrale de Nagpur pour motiver les personnes incarcérées à s’inscrire aux cours offerts par l’IGNOU. L’IGNOU n’offre pas seulement des programmes académiques, elle cherche à créer un véritable environnement universitaire en prison, semblable à celui d’une université. Cet article a présenté plusieurs initiatives visant à encourager les personnes incarcérées à devenir des étudiant·es. Il s’agit d’un effort collectif auquel participent l’administration carcérale, les responsables de l’IGNOU et, surtout, les personnes incarcérées elles-mêmes, animées par leur volonté d’apprendre, d’essayer et de progresser. En un sens, cet article appuie la perception de Mahatma Gandhi selon laquelle « les personnes incarcérées ont un esprit malade », tout en montrant qu’elles désirent également être guéries, et que l’éducation pourrait bien en être la voie.

Références

  • Meena, A. K. (2021). History of Indian prison System. Journal of Emerging Technologies and Innovative Research, 8(9), e298-e304.
  • Pathaneni, S. (2020). Innovative Phone-in Radio Program for Prisoners Enrolled as Students at Indira Gandhi National Open University: Journal of Prisoner Education and Reentry, 6(2), 189–193.
  • Shamasastry, R., translator. (1915). Kautilya’s Arthashastra. Abhishek Publications.
  • Sharma, M. (2024). Prison System in Ancient India. White Black Legal Law Journal, 2(16).
  • Shriman, N. (1968). Selected Works of Mahatma Gandhi, Vol. 5. Mahatma Gandhi, Voice of Truth. Navajivan Publishing House, 395-96.
  • Singh, S. (2025). Inclusive Education for Jail Inmates. Kumud Publication.
  • Swarajya (2019). ‘Body Is Trapped, Mind Is Free’: IGNOU Launches Phone-In Radio Counselling To Help Nagpur Central Jail Prisoners. https://swarajyamag.com/insta/body-is-trapped-mind-is-free-ignou-launches-phone-in-radio-counselling-to-help-nagpur-central-jail-prisoners
  • Tiwari, A. (2000). Prison Reforms in India: Retrospect & Prospect. The Indian Journal of Criminology & Criminalistics, XXI (1-3), 93-125.
  • UNESCO Institute for Lifelong Learning (2021). Education in Prison: A Literature Review. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000378059
  • Wilson, D. B., Gallagher, C. A., & Mackenzie, D. L. (2000). A meta-analysis of corrections-based education, vocation, and work programs for adult offenders. The Journal of Research in Crime and Delinquency, 37(4), 347-368. https://doi.org/10.1177/0022427800037004001

Notes

  1. Environ 1,4 milliard de dollars canadiens. ↩︎
  2. En anglais, l’auteur a utilisé le terme « academic counselling » (traduction littérale : conseil académique), car c’est le terme utilisé en Inde pour désigner les heures de bureau allouées par les personnes enseignantes pour soutenir leurs étudiant·es. À ne pas confondre avec « conseil d’orientation » ou « orientation scolaire », traductions typiques du terme « academic counselling » au Canada. Ces termes dénotent plutôt les services offerts par un conseiller ou une conseillère d’orientation pour aider les apprenants et apprenantes à identifier leurs objectifs professionnels. ↩︎
  3. À ne pas confondre avec les surveillant·es d’examens. Les observateur·rices s’ajoutent aux surveillant·es et s’assurent de l’intégrité et l’impartialité de ceux-ci. ↩︎

Author

Sivaswaroop Pathaneni
Ancien directeur régional principal
Centre régional de l’IGNOU à Nagpur (Inde)
psivaswaroop@gmail.com


Pour citer cet article

Pathaneni, S. (2025). Motiver les personnes incarcérées à s’instruire – Une étude de cas des efforts déployés à Nagpur, en Inde. Apprendre + Agir, édition spéciale 2025, Apprendre et se transformer : pratiques et perspectives internationales sur l’éducation en prison. https://icea-apprendreagir.ca/motiver-les-personnes-incarcerees-a-sinstruire-une-etude-de-cas-des-efforts-deployes-a-nagpur-en-inde/

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