Développer une activité de formation informelle à l’intention d’adolescentes et adolescents en situation de pré-judiciarisation : l’exemple de Truman à Portage 

Édition spéciale 2025 d’Apprendre + Agir

Richard Mayrand

Résumé

Dans cet article, l’auteur relate son expérience au centre Portage du Lac Écho, un établissement spécialisé de réadaptation en toxicomanie. Il y rencontre, depuis 25 ans, les adolescentes et adolescents afin d’échanger sur les défis liés à leur combat contre les dépendances. L’activité est basée sur le recours à deux références culturelles, l’allégorie de la caverne de Platon (référence classique) et le film The Truman Show (référence populaire) pour favoriser la réflexion critique, la prise de conscience de soi et le développement de compétences de vie. L’auteur décrit le déroulement type de l’activité, les thèmes de discussion abordés, les réactions des participantes et participants, les améliorations apportées au fil du temps, le guide destiné à faciliter la poursuite de la réflexion à la suite de l’activité, ainsi que les pratiques recommandées pour ce type d’activité. Enfin, il propose des pistes de déploiement de cette activité au-delà du cadre de Portage. 

Pour lire le résumé long

Cet article explore une démarche pédagogique innovante mise en œuvre dans un centre de réadaptation pour adolescent·e·s et jeunes adultes en situation de vulnérabilité aux prises avec des dépendances. L’intervention repose sur l’utilisation conjointe du film The Truman Show et de l’allégorie de la caverne de Platon comme outils de réflexion et de conscientisation. À travers ces deux œuvres, qui partagent un puissant potentiel métaphorique, les jeunes sont invité·e·s à réfléchir aux mécanismes d’illusion, de contrôle, de conditionnement social et de libération, en lien direct avec leur propre trajectoire de vie et leur cheminement thérapeutique. 

L’activité s’inscrit dans le cadre d’un programme d’accompagnement psychosocial mené au sein du centre Portage, un établissement reconnu pour son approche humaniste et communautaire auprès de jeunes en rupture. Depuis plus de 25 ans, des groupes de discussion sont organisés autour du visionnement du film The Truman Show, suivi d’une mise en parallèle avec l’allégorie platonicienne. Cette dernière est présentée de manière accessible et contextualisée, souvent sous forme de dialogue ou de schéma explicatif, afin de rendre son message compréhensible pour un public non initié à la philosophie. 

Le cœur de l’intervention repose sur l’analogie entre les illusions du protagoniste Truman Burbank – élevé à son insu dans une émission de téléréalité fabriquée de toutes pièces – et les conditionnements ou croyances dans lesquels les jeunes ont été enfermés, parfois depuis l’enfance, par leur milieu, leurs dépendances ou des mécanismes de survie psychologique. Le processus de « sortie de la caverne », tel que décrit par Platon, trouve ainsi un écho puissant dans le parcours de désintoxication et de redéfinition de soi amorcé par les adolescent·e·s à Portage. La lumière, dans l’allégorie, comme dans le film, symbolise ici non seulement la vérité, mais aussi la douleur du dévoilement, l’inconfort du changement et le vertige de la liberté retrouvée. 

Cette approche propose une forme d’éducation philosophique appliquée à la réalité concrète des jeunes en réadaptation. Elle leur permet d’élaborer une pensée critique sur leur passé et leur présent, tout en imaginant un avenir libéré des contraintes anciennes. Loin d’être un simple exercice intellectuel, cette réflexion devient un levier de transformation personnelle. Plusieurs jeunes, au fil des années, ont témoigné du rôle déterminant joué par cette activité dans leur prise de conscience de leurs conditionnements, de leurs peurs, de leurs attachements toxiques et de leur capacité à se redéfinir. 

L’article aborde également les limites de l’exercice, notamment la difficulté de maintenir l’attention ou la compréhension de certain·e·s participant·e·s, ou encore les résistances face à une symbolique perçue comme abstraite. Toutefois, ces défis sont souvent surmontés par la qualité de l’animation, l’utilisation d’exemples concrets tirés de la vie des jeunes et l’encouragement au dialogue authentique. 

En conclusion, cette pratique illustre l’intérêt de recourir à des outils culturels et philosophiques forts pour accompagner des processus de réhabilitation. Elle témoigne aussi du potentiel de la philosophie comme vecteur d’émancipation, y compris (et peut-être surtout) auprès de publics souvent exclus des formes traditionnelles de réflexion intellectuelle. L’allégorie de la caverne de Platon, loin de n’être qu’un objet d’étude académique, devient ici un miroir et une boussole pour ceux et celles qui cherchent à se libérer de leurs chaînes intérieures. 

Mots clés : allégorie de la caverne de Platon, Truman Show (film), jeunes en situation de vulnérabilité, dépendance et libération personnelle, réflexion critique et conscience de soi, éducation philosophique en intervention sociale 


Portage, Truman, Platon et l’origine du projet 

Le développement de la prochaine génération a toujours été important pour moi. Qu’il s’agisse de l’enseignement du ski alpin, de l’accueil de stagiaires en pharmacie ou encore de mes activités d’enseignement à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, le désir de redonner a souvent guidé mon parcours. Rien ne me prédestinait toutefois à tenter de faire une différence, aussi modeste soit-elle, auprès d’adolescentes et d’adolescents aux prises avec des problèmes de dépendance. 

Ce projet a vu le jour grâce à une heureuse coïncidence. D’abord, lors d’une visite au centre Portage du Lac Écho, j’ai rencontré des personnes bienveillantes et passionnées qui y travaillent, ainsi que des jeunes filles et garçons confronté·e·s à d’immenses défis liés à leur dépendance et cherchant à reconstruire leur vie sur des bases plus solides. 

Illustration 1 Portage, article de R. Mayrand
Illustration 1 : Logo de l’organisme Portage

Portage est un organisme à but non lucratif dont la mission est d’aider les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie à surmonter leur dépendance afin de mener une vie sobre, épanouissante et productive. Depuis sa fondation en 1970, Portage a soutenu des milliers de personnes grâce à des programmes de réadaptation spécialisés destinés aux adolescent·e·s, aux adultes, aux femmes enceintes, aux mères avec de jeunes enfants, aux personnes vivant avec des troubles de santé mentale, aux communautés autochtones et aux personnes judiciarisées. L’organisme propose aussi des services complémentaires : formation à l’emploi, suivi postcure, accompagnement à la réinsertion sociale et hébergement communautaire.

Les jeunes hébergé·e·s au centre Portage s’engagent à suivre un programme thérapeutique d’une durée d’environ six mois. À chaque visite, je suis touché par ce que j’observe : des échanges empreints de respect, d’humanité et d’authenticité entre les intervenant·e·s et les jeunes. Les efforts déployés pour briser les chaînes de la dépendance sont manifestes et inspirants. 

Quelques semaines après ma première visite à Portage, j’ai visionné le film The Truman Show, réalisé par Peter Weir et mettant en vedette Jim Carrey. Le film raconte l’histoire de Truman, un jeune homme filmé à son insu 24 heures sur 24 dans un immense studio de télévision, où il vit depuis sa naissance. Il croit habiter une demeure normale dans une ville réelle, mais tout est fictif. Ses parents, sa conjointe, son meilleur ami, ses collègues et les autres résident·e·s sont des acteurs et des actrices. Truman vit dans une illusion totale, une « fausse réalité », sans en être conscient. Peu à peu, certains éléments de sa vie lui semblent incohérents. Il se met alors à douter, puis à chercher, de manière hésitante mais déterminée, une sortie. Sa quête devient profondément bouleversante. 

Le scénario du film amène le spectateur et la spectatrice à voir ce que Truman ne peut percevoir, étant donné la manipulation dont il est victime. Le film incite ainsi le public à identifier les éléments authentiques et ceux qui sont faux en faisant usage d’un sens critique. Sous une apparence de comédie, le scénario du Truman Show propose un parallèle étonnant avec l’allégorie de la caverne de Platon. 

Dans l’allégorie de la caverne, Platon décrit des prisonniers enchaînés dans une grotte, ne voyant que des ombres d’objets projetées sur un mur. Ces ombres représentent leur seule réalité. L’un des prisonniers est libéré et découvre, après une douloureuse ascension, le monde extérieur et la lumière du soleil, symbole de la vérité. En revenant vers les autres pour partager sa découverte, celui-ci est rejeté. Il est intéressant de noter que pour Platon, ce prisonnier libéré, qui cherche éventuellement à partager ce qu’il a appris, joue un rôle semblable à celui du philosophe qui tente de guider ses élèves malgré l’incompréhension. 

Platon nous a ainsi légué une métaphore puissante pour explorer des concepts complexes, tels que l’ignorance, la remise en question des croyances et la connaissance (ou vérité).

Illustration 2 : Allégorie de la caverne de Platon
Source : Wikipédia, notes ajoutées par l’auteur

L’allégorie démontre combien il est difficile de se libérer de ces illusions, que nous croyons réelles, pour atteindre un niveau de conscience supérieur à celui dans lequel nous vivons. La force de ce récit réside dans sa simplicité, qui le rend accessible à des publics aux capacités d’abstraction variées. Chacun·e peut s’identifier à ces prisonniers, incapables de voir ce qui semble pourtant évident à celles et ceux qui vivent à l’extérieur de la caverne. Cette histoire invite à une profonde remise en question de notre façon d’interpréter le monde et nos interactions avec celui-ci. Pour ma part, depuis l’étude de l’allégorie lors d’un cours de philosophie au cégep, je m’en sers comme outil de réflexion : quels éléments de ma vie relèvent d’une réalité sur laquelle je peux appuyer mes décisions ? Lesquels sont davantage des illusions ? 

Ce rapprochement entre The Truman Show et l’allégorie de la caverne s’est imposé à moi peu après ma visite à Portage. Une question m’est alors venue : pourrait-on établir un lien entre (a) le prisonnier de Platon, qui ne tente pas de fuir sa condition (à moins d’y être contraint) parce qu’il ignore l’existence d’un autre monde; (b) Truman, qui comprend qu’il doit s’échapper, sans savoir ce qui l’attend; et (c) ces jeunes que j’ai rencontrés, dont certain·e·s tentent de « sortir de leur dépendance », et d’autres qui n’ont pas encore pris conscience que leur toxicomanie constitue leur propre caverne ? 

Cette question a naturellement orienté ma réflexion. J’ai donc proposé à la direction de Portage d’animer une activité fondée sur le visionnement du Truman Show, suivi d’une discussion en groupe autour des thèmes du film et de l’allégorie de la caverne. En avril 2000, une vingtaine d’adolescentes et adolescents résident·e·s du centre Portage du Lac Écho m’ont accueilli pour cette première rencontre. L’activité a été suffisamment bien reçue pour que l’expérience se répète. 

En janvier 2025, j’ai animé Truman à Portage pour la 25e année consécutive. J’anime cette activité deux fois par année, soit pendant la période des Fêtes et au début de l’été. Ces visites aux six mois coïncident avec la durée habituelle des séjours et permettent ainsi de rejoindre annuellement deux cohortes de jeunes. À chaque visite, nous regardons ensemble The Truman Show et discutons de leur vécu à la lumière de l’histoire de Truman et de l’allégorie de Platon. 

Horaire type d’un évènement Truman à Portage 

L’évènement Truman à Portage dure un peu plus de quatre heures et inclut un repas en début d’activité. Selon les contextes particuliers au moment des visites, nous tenons parfois l’évènement en journée ou en soirée. 

L’activité comprend les étapes suivantes : 

  • Préparation de l’activité  
    Je relis le matériel d’animation dans les jours précédents et je prépare des affiches thématiques en vue de favoriser la mobilisation des participant·e·s au moment de la discussion. Je demande la liste des prénoms des adolescent·e·s, que je mémorise afin de favoriser une relation de confiance dès les premiers échanges. 
  • Rencontre de coordination de l’activité avec l’équipe de Portage 
    À mon arrivée, je rencontre l’équipe de Portage pour prendre le pouls du groupe et adapter l’horaire si nécessaire. J’identifie les participant·e·s nouvellement arrivé·e·s, qui peuvent être plus vulnérables ou moins engagé·e·s. 
  • Mot d’introduction et présentation de l’horaire de l’activité 
    Je me présente et j’explique les raisons de ma présence à Portage. Je décris brièvement le déroulement de l’activité, en mentionnant que nous regarderons le film The Truman Show et que nous en discuterons ensemble par la suite. J’introduis aussi l’allégorie de la caverne, sans révéler les liens entre les deux œuvres. J’invite enfin chacun·e à participer pleinement à la discussion afin d’en retirer le maximum de bénéfices. 
  • Repas spécial en groupe 
    Un dîner pizza est offert, contribuant à créer une atmosphère détendue propice aux échanges. C’est un cadeau apprécié. J’en profite pour circuler parmi les tables et engager la conversation. 
  • Pause 
    Cette pause, avant le visionnement, permet à chacun de se préparer en vue de pouvoir maintenir son attention tout au long du film. 
  • Visionnement du film The Truman Show 
    Le film est projeté dans deux salles, en version française et en version anglaise. Les règles de vie établies par Portage contribuent à la mise en place d’une ambiance propice à l’écoute attentive. 
  • Pause 
    Cette pause permet aux adolescent·e·s de se préparer pour la discussion qui suit et qui demande, elle aussi, un effort d’attention et de réflexion. 
  • Discussion dirigée sur le film 
    Une discussion structurée autour de dix thèmes suit le visionnement. C’est la partie de l’activité qui ouvre la voie à plusieurs apprentissages. Des volontaires viennent à tour de rôle noter sur des affiches les commentaires de leurs collègues. Cette façon de faire permet de maintenir l’intérêt de chacun·e.
  • Mot de la fin et remerciements 
    Le mot de la fin est l’occasion de souligner les efforts du groupe, d’exprimer notre reconnaissance mutuelle et de conclure sur une note d’encouragement et d’espoir. Ce moment est souvent riche en émotions.
  • Débreffage avec l’équipe de Portage 
    Cette courte discussion permet de recueillir les commentaires des intervenant·e·s et de les remercier de leur accueil et de leur soutien pendant l’évènement. 

Une discussion dirigée 

La discussion dirigée s’articule autour de dix thèmes soigneusement choisis. Dans la mesure du possible, un thème est abordé par le biais d’une question liée à l’expérience de Truman, permettant d’abord aux adolescent·e·s de faire part de leurs observations en lien avec le film. Ce détour par la fiction, moins intrusif, facilite l’amorce de la réflexion. Une fois ce terrain exploré, la discussion pivote alors vers les vécus des participant·e·s afin d’identifier des « situations parallèles », le cas échéant. Cette approche en deux temps est propice à l’introspection, et ouvre la porte à des partages souvent personnels et authentiques. 

Thème 1 – Le sens général du film (Réflexion d’ouverture pour briser la glace) 

  • Qu’as-tu pensé du film ? 

Thème 2 – Les indices qui nous amènent à une remise en question 

  • Quels indices ont amené Truman à penser que sa réalité n’était pas aussi authentique qu’il le croyait ? 
Illustration 3, affiche pour le thème 2, article R. Mayrand
Illustration 3 : Affiche pour le thème 2
  • Dans ta vie personnelle, quels sont les indices qui t’amènent (ou t’ont amené·e) à remettre en question des croyances que tu as (ou que tu avais) ?

Thème 3 – Les rêves qui nous motivent 

  • Truman avait-il des rêves qu’il souhaitait réaliser ? Quels étaient-ils ? 
  • Quels sont les rêves que tu souhaiterais réaliser ? 

Thème 4 – Des rêves qui évoluent 

  • À la fin du film, Truman a-t-il réalisé son rêve tel qu’il l’envisageait ? Aura-t-il besoin d’aller aux îles Fidji ? Pourquoi ? 
  • En quoi cela pourrait-il influencer ta façon d’envisager tes rêves ? 

Thème 5 – Les obstacles devant nous 

  • Quels sont les défis que Truman a dû surmonter ? 
  • Quels sont les éléments qui te retiennent dans tes efforts pour changer ta perception de toi-même et de la réalité qui t’entoure ? Parmi tes réponses, quels sont les éléments sur lesquels tu as le plus de contrôle ? Ceux sur lesquels tu as le moins de contrôle ? Pourquoi ? 

Thème 6 – Les personnes et les ressources qui peuvent nous aider et celles qui ne nous aident pas 

  • Sur qui Truman a-t-il pu compter pour se libérer des limites auxquelles il était confronté ? Sur qui n’a-t-il pas pu se fier ? 
  • Sur qui peux-tu compter dans ta démarche pour changer ta perception de toi-même et de ta réalité, puis vivre selon ta nouvelle vision de la réalité ? Sur qui devrais-tu ne pas te fier ? 

Thème 7 – Les qualités requises pour avancer dans ce voyage constitué d’une suite de défis 

  • Quelles sont les qualités de Truman qui lui ont permis de relever cette série de défis ? 
  • Quelles sont les qualités dont tu auras besoin pour te permettre de relever la série de défis qui se présenteront ? Comment pourrais-tu acquérir ces qualités si tu ne les possèdes pas encore ? 

Thème 8 – La récompense au bout des efforts 

  • Quels sont les sentiments de Truman lorsqu’il réussit à se libérer ? 
  • Quels seront tes sentiments lorsque tu réussiras, toi aussi ? 

Thème 9 – À chacun·e son cheminement 

  • À la fin du Truman Show, qu’est-ce qui a changé pour les téléspectateurs et téléspectatrices ? Ont-ils ou ont-elles entamé leur démarche de libération ? 

Thème 10 – Chacun·e de nous en quête de sa vérité 

  • Quel est le lien entre la caverne décrite par Platon et le studio géant dans lequel vivait Truman sans le savoir ? 
  • En quoi te sens-tu concerné·e par les leçons de l’allégorie de la caverne et du Truman Show ? 

Guide d’accompagnement pour poursuivre la réflexion après l’évènement 

Depuis quelques années, un guide d’accompagnement de l’activité Truman à Portage est remis à la fin de l’évènement. Les participant·e·s peuvent répondre, à leur propre rythme et en toute intimité, dans les jours qui suivent, aux questions qui ont déjà été abordées en groupe.

Illustration 4a guide d'accompagnement, article R. Mayrand
Illustration 4 : Guide d’accompagnement
Illustration 4 B, guide d'accompagnement, article R. Mayrand
Illustration 5 : Réflexion sur le film et réflexion personnelle

Nous explorons présentement la possibilité que le matériel couvert soit aussi rediscuté en classe dans les cours sous la responsabilité d’un centre de service scolaire ou d’une commission scolaire. 

Les réactions des participantes et des participants 

L’évaluation de l’activité repose sur deux sources : les sondages périodiques et les commentaires recueillis lors de discussions informelles. 

Les sondages sont composés d’une partie « questions à choix multiples », qui peut être illustrée quantitativement, suivie d’une section qualitative sous forme de commentaires. L’évaluation quantitative est effectuée en attribuant un pointage en fonction de l’échelle suivante : Pas du tout  : 0; Un peu : 1; Modérément : 2; Beaucoup : 3. Quinze participant·e·s ont répondu à l’édition 2019 de l’évaluation.

Tableau 1 Truman à Portage évaluation oct. 2019, article R. Mayrand
Tableau 1 : Évaluation de l’activité Truman à Portage (octobre 2019), analyse de la partie “réponses à choix multiples”

Ces résultats indiquent que l’activité est généralement bien appréciée par les participant·e·s, particulièrement pour les trois premiers éléments du sondage qui concernent des éléments plus ludiques (visionner un film, manger de la pizza). Pour les trois derniers éléments, nous observons que les notes attribuées baissent légèrement. Ce léger recul semble lié au fait que ces aspects (participer à une discussion, évaluer l’utilité de l’activité à court terme ou à moyen/long terme) requièrent des efforts additionnels, particulièrement sur les plans cognitifs et émotifs. À travers les années, j’ai pu constater que les adolescent·e·s en début de thérapie semblent généralement démontrer plus de difficultés quant à la capacité réflexive et à l’engagement que ceux et celles qui approchent de la fin du programme. Cette différence pourrait expliquer, du moins en partie, pourquoi les notes relativement aux trois derniers éléments sont plus basses. 

Malgré cela, le volet « utilité » offre plusieurs enseignements. D’une part, les deux résultats demeurent élevés compte tenu des défis que les participant·e·s auront à relever. D’autre part, si ces résultats sont inférieurs à ceux liés au déroulement même de l’activité, ils indiquent que les participant·e·s comprennent que la réussite de l’atelier ne garantit pas, à elle seule, celle de leur démarche à Portage. Enfin, la note pour « l’utilité après Portage », inférieure à celle « pendant Portage », laisse entendre que les participant·e·s sont conscient·e·s de l’incertitude grandissante à mesure que l’on s’éloigne dans le temps. 

À la question : « En quoi le visionnement du film Le Truman Show et la discussion que nous avons eue pourraient-ils t’aider dans ta démarche ? », les réponses suivantes se dégagent (orthographe d’origine conservée) : 

Faire une introspection sur moi-même dans le but de me délivrer de ma caverne. 
As me questionner sur moi-même. 
Je crois de juste se poser des question. 
M’ouvrir les yeux. 
À n’en connaitre plus sur l’opinion des autres. Aussi donner de la motivation. 
Le fait que Truman nas jamais abandonner et il a finit par réussir me prouve que dans la vie tout est possible. 
Pour mieux comprendre par ou j’ai passer. 
De comment je vois la vie et comment j’y fais fasse. 
M’aider à percévéré et à croire en moi ainsi qu’à mes buts. 
Ça me laisse comme réflexion que vaux mieux viser haut car j’irai déjà plus haut qu’à départ puis que je suis la seule personne en qui je dois réellement faire confiance. 
Pas accepter les premières réponses des gens et aussi ne pas fermé les yeux sur les choses qui se passent autour de moi. 
À pilé sur mes peurs parce qu’au bout il va avoir quelque chose de plus beau. 
A pouvoir utiliser les réflextion pour de futur problèmes. 
A pouvoir plus croire en mes choix. 
A poser un regard sur ce qui se passe dans ma vie. 

Voici aussi quelques impressions générales des participant·e·s, ici aussi reproduites intégralement. 

Continuer comme ça! 
Merci beaucoup ça m’a fait beaucoup de bien.  : ) 
J’ai beaucoup apprécié l’activité et votre approche, vous êtes de bonnes personnes, ça se voit. 
Merci, j’ai fait des réalisations. 

Les témoignages verbaux vont dans le même sens. Les participant·e·s sont reconnaissant·e·s qu’une personne extérieure, qui ne les connaît pas, consacre une journée à leur intention, apprenne leur prénom, écoute leur parole et y réagisse. Au-delà de la réflexion sur Truman et l’allégorie de la caverne, cette rencontre leur montre qu’elles et ils ont de la valeur. 

La rétroaction révèle enfin que l’activité réussit, pour plusieurs, à ouvrir une nouvelle fenêtre sur le monde et la place qu’ils ou elles y occupent. L’Allégorie de la caverne et Le Truman Show les outillent pour analyser, avec recul, les situations qu’ils et elles vivent déjà et qu’ils et elles continueront de vivre. Ainsi, lors de ma plus récente visite (juin 2025), un adolescent a montré qu’il s’appropriait le concept en me demandant : « Richard, quelle est ta caverne? »

Les intervenant·e·s de Portage confirment que l’atelier s’intègre bien à la démarche thérapeutique. Anecdote révélatrice, l’un d’eux m’a confié : « Richard, lorsque j’étais résident à Portage, l’activité Truman a marqué un tournant dans ma démarche ». Ce retour, qui voit d’ancien·ne·s résident·e·s devenir intervenant·e·s, constitue un clin d’œil à Platon : certain·e·s « prisonniers » retournent aider celles et ceux restés derrière. 

Amélioration en continu de l’activité Truman à Portage 

Au fil des ans, l’activité s’est enrichie de plusieurs ajustements concrets : l’organisation d’un repas spécial au début de la journée ; la formalisation d’un plan de discussion dirigée ; l’utilisation d’affiches géantes pour noter les commentaires des participant·e·s ; la distribution d’un cahier d’accompagnement favorisant la réflexion personnelle ; le recours périodique à un sondage pour recueillir de la rétroaction ; ainsi que la collaboration avec la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison du Cégep Marie-Victorin, dans le but d’évaluer l’activité et, potentiellement, son impact à plus long terme. 

La rédaction du présent texte, conjuguée aux commentaires du comité éditorial, a alimenté une réflexion sur de nouvelles pistes d’amélioration, notamment en ce qui concerne l’espace accordé à l’allégorie de la caverne, pendant les échanges. Jusqu’ici, l’explication initiale et l’établissement du lien entre le studio de Truman, la caverne de Platon et la toxicomanie sont généralement bien compris par les participant·e·s en fin d’activité. Il semble toutefois possible d’aller plus loin. 

À cet effet, trois bonifications sont envisagées pour les prochaines éditions : 

  1. Intégrer visuellement l’allégorie dès le début de l’activité, à l’aide de l’illustration reproduite plus haut, afin de compléter les explications sur les trois étapes du processus de libération (enchaînement, découverte, sortie). 
  1. Structurer davantage la discussion dirigée en demandant aux participant·e·s, à différents moments du visionnement, de situer Truman dans son cheminement par rapport à ces étapes. 
  1. Conclure la discussion en groupe en invitant chaque adolescent·e à identifier, s’il ou elle le souhaite, l’étape du processus de libération dans laquelle il ou elle se reconnaît à ce moment de son parcours. 

Cette approche devrait permettre à un plus grand nombre de participant·e·s de se situer activement par rapport au concept de l’allégorie, tout en favorisant une appropriation personnelle du message. 

Naturellement, ces ajustements devront être intégrés dans le guide d’accompagnement, afin d’assurer leur cohérence avec l’ensemble de l’activité. 

Interventions auprès des participant·e·s pour préserver une dynamique d’apprentissage favorable 

Il m’est arrivé, à de très rares occasions, de devoir suspendre temporairement l’activité pour gérer une situation où un·e adolescent·e perturbait le déroulement. Avec les années, j’ai appris à intervenir en m’appuyant sur les codes déjà connus et partagés au sein de la communauté. 

Par exemple, une règle simple mais efficace permet à toute personne présente, intervenant·e, participant·e ou invité·e, de demander la parole en levant simplement la main. Lorsqu’une main se lève, les autres lèvent la leur à leur tour et cessent de parler. Ce mécanisme collectif de régulation fait en sorte que, progressivement, le niveau sonore baisse jusqu’à ce qu’un silence complet s’installe. 

Une fois le calme revenu, la personne qui a levé la main peut s’exprimer. J’en profite alors pour nommer ce que j’observe et ce que je ressens, de manière respectueuse et sans jugement. Généralement, un·e participant·e plus avancé·e dans sa démarche intervient ensuite pour soutenir mon message et relayer l’appel à préserver une atmosphère propice pour l’activité.

Ce mode d’intervention s’inscrit dans l’esprit de la « communauté thérapeutique » propre à Portage, où les adolescent·e·s résidant depuis plusieurs mois jouent un rôle actif dans la cohésion du groupe. Ainsi, les participant·e·s ne sont pas de simples récepteur·trice·s des consignes : ils et elles deviennent, à leur tour, agent·e·s de régulation et modèles pour les autres. 

Collaboration avec la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison du Cégep Marie-Victorin

Il y a cinq ans, j’ai pris contact avec les représentant·e·s de la Chaire UNESCO de recherche appliquée pour l’éducation en prison du Cégep Marie-Victorin, car je cherchais à recueillir les commentaires de personnes de référence dans le domaine de l’éducation en milieu carcéral ou pré-carcéral. Nous avons convenu que l’activité Truman à Portage s’inscrivait pleinement dans le champ d’intérêt de la Chaire, étant donné que les jeunes ciblé·e·s par l’activité sont souvent à la frontière du système judiciaire. De plus, cette activité constitue une forme de formation informelle visant à outiller les participant·e·s avec de nouvelles compétences de vie. 

Marc-André Lacelle, conseiller au développement et à la recherche de la Chaire, ainsi que chercheur principal, a accepté de diriger un projet ayant pour but de développer un cadre d’analyse des impacts. Ce cadre pourrait éventuellement être utilisé pour mesurer les retombées de l’activité Truman à Portage, ainsi que d’autres projets comparables. Camille Trembley, coordonnatrice et conseillère pédagogique à la Chaire, s’est également jointe au projet. 

Cette collaboration a aussi mené à une participation au volet « communication affichée » des Rencontres internationales de Montréal sur l’éducation en prison qui se sont tenues à l’UQAM en octobre 2024. 

Pratiques recommandées : conseils pour organiser un évènement « Truman » (ou toute adaptation) 

Avec le recul, plusieurs facteurs se révèlent déterminants dans la réussite de Truman à Portage. Les recommandations ci-dessous résultent d’années d’apprentissage sur le terrain ; elles pourront guider toute personne ou équipe souhaitant créer une activité similaire. 

Avant l’activité : poser des bases solides 

  • Préparer chaque séance : même si ce n’est pas une première édition, revoir le matériel, les horaires et les rôles. 
  • Choisir un moment symbolique : privilégier une période où le sentiment d’éloignement se fait plus vif (par exemple, le temps des Fêtes ou la fin de l’année scolaire). 
  • Planifier un repas de bienvenue : un geste concret de générosité qui crée d’emblée un climat chaleureux et facilite les échanges. 

Pendant l’activité : créer un climat de confiance 

  • Offrir une présence significative : la venue de l’animateur·trice, personne extérieure reconnue et estimée, est perçue comme un geste attentionné qui valorise les jeunes et renforce leur sentiment d’importance. 
  • Employer systématiquement les prénoms : chaque adolescent·e se sent reconnu·e et prioritaire. 
  • Valoriser l’équipe locale : reconnaître publiquement le travail quotidien des intervenant·e·s accroît leur crédibilité auprès du groupe. 
  • Connaître ses limites : sans formation en psychothérapie, rester dans la présentation de concepts et laisser le volet thérapeutique aux professionnel·le·s de Portage, toujours présents. 
  • Suivre un plan de discussion structuré : catalyser la participation tout en évitant de s’écarter des objectifs pédagogiques. 

Après l’activité : prolonger l’impact 

  • Remettre un guide d’accompagnement : permettre à chacun·e de poursuivre la réflexion à son rythme, seul·e ou avec un intervenant·e. 
  • Faire passer un sondage de rétroaction : mesurer l’appréciation et repérer des pistes d’amélioration continues. 
  • Collaborer avec des partenaires de recherche : documenter le processus et l’impact (par exemple, la Chaire UNESCO de recherche appliquée sur l’éducation en prison). 

Le cœur de l’expérience Truman à Portage est ancré dans l’association de deux références culturelles complémentaires, l’allégorie de la caverne de Platon et le film The Truman Show. Le film offre une histoire accessible et émotive qui facilite l’identification aux enjeux de contrôle et d’authenticité. L’allégorie apporte une profondeur philosophique et un recul critique, transformant le divertissement en réflexion existentielle. 

Isoler l’une ou l’autre réduirait l’effet mobilisateur, car leur combinaison produit une dynamique plus riche et durable. Les améliorations envisagées pour les futures éditions visent précisément à tirer encore mieux parti de cette complémentarité. 

Truman-Platon-Portage : Un paradoxe en arrière-plan 

L’approche distinctive de Portage, qui vise à accompagner les personnes aux prises avec une dépendance, repose sur un processus de découverte de soi qui s’effectue en cure fermée. Ce cadre peut sembler paradoxal : comment une démarche vers la liberté, telle que l’évoque Platon dans l’allégorie de la caverne, peut-elle débuter par un enfermement volontaire ? 

À mes yeux, cette cure fermée constitue une forme de retraite, à la fois temporaire et choisie, qui agit comme un passage, un couloir vers la lumière, pour reprendre l’image platonicienne. Elle offre un espace protégé où la réflexion, le désapprentissage et la transformation peuvent émerger à l’écart des influences toxiques du monde extérieur. 

Ce paradoxe trouve un écho direct dans les textes de Platon, où le prisonnier n’est pas libéré de son propre chef, mais contraint de sortir de la caverne. Ce mouvement imposé, douloureux mais nécessaire, ressemble fortement au parcours des résident·e·s de Portage, souvent engagé·e·s dans le programme à la suite d’une décision difficile, parfois même en contexte judiciaire ou familial tendu. 

Je compte aborder ce paradoxe plus explicitement lors des prochaines éditions de Truman à Portage. En effet, le séjour à Portage est un défi exigeant, souvent accompagné de moments de souffrance, d’inconfort et d’angoisse. Le fait que Platon ait anticipé ces douleurs dans le cheminement vers la vérité permet aux adolescent·e·s de se reconnaître dans ce processus : elles et ils ne sont pas seuls, et ce qu’ils vivent s’inscrit dans une dynamique humaine ancienne, universelle et porteuse de sens. 

D’ailleurs, n’est-ce pas tout le parcours de Portage qui est résumé dans son propre logo ? On y voit un oiseau d’abord enfermé dans un espace restreint, qui amorce ensuite un mouvement d’élévation, avant de s’élancer pleinement vers la liberté. Cette image, lourde de sens, fait écho tout autant à Platon qu’à Truman. Elle illustre avec justesse ce paradoxe apparent : c’est parfois à l’intérieur d’un cadre, réel ou symbolique, que peuvent émerger le désir, puis la capacité, de voler de ses propres ailes. 

Conclusion 

Après chaque rencontre Truman à Portage, je repars animé d’une énergie nouvelle, une forme de reconnaissance silencieuse pour ces moments d’échange, de lucidité et de courage. 

À l’occasion du 25e anniversaire de cette activité, une question m’habite : où pourraient aller Truman et Platon maintenant ? Pourquoi ne pas imaginer une version de l’activité à Leclerc, à Donnacona ou à Port-Cartier ? Et pourquoi ne pas sortir du cadre carcéral pour proposer des déclinaisons dans d’autres milieux, comme le Chaînon, l’Auberge Madeleine ou encore dans des organismes qui viennent en aide aux hommes en difficulté ? L’activité pourrait aussi trouver toute sa place dans des programmes d’éducation aux adultes, là où des personnes cherchent à reconstruire leur rapport à elles-mêmes, à leur histoire et à leur avenir. 

Le potentiel de cette activité est immense. Il réside dans la rencontre improbable entre une œuvre cinématographique contemporaine, une allégorie philosophique millénaire et les récits de vie singuliers des participant·e·s. Cette juxtaposition déclenche des prises de conscience, suscite des dialogues riches de sens et invite à la transformation.

Si certaines personnes souhaitent tenter l’aventure, je serai heureux de partager mon expérience, de vous accompagner dans la planification de votre projet et, qui sait, de me déplacer pour être présent lors de votre première présentation de l’évènement Truman, dans le milieu qui vous tient à cœur. 


Auteur

Richard Mayrand, pharmacien
Animateur invité, Portage (centre de thérapie en toxicomanie)
Président du conseil d’administration, Institut de recherche clinique de Montréal (IRCM). Anciennement vice-président, Pharmacie et affaires gouvernementales, Groupe Jean Coutu, filiale de metro.
rmayrand@richardmayrand.com 


Pour citer cet article

Mayrand, R. (2025). Développer une activité de formation informelle à l’intention d’adolescentes et adolescents en situation de pré-judiciarisation : l’exemple de Truman à Portage. Apprendre + Agir, édition spéciale 2025, Apprendre et se transformer : pratiques et perspectives internationales sur l’éducation en prison. https://icea-apprendreagir.ca/developper-une-activite-de-formation-informelle-a-lintention-dadolescentes-et-adolescents-en-situation-de-pre-judiciarisation-lexemple-de-truman-a-portage/

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